INVENTEURS, PENSEURS, CHERCHEURS, ILS EXPLORENT DE NOUVELLES PISTES, QUI CONVERGENT VERS UN BUT COMMUN : VIVRE MIEUX DEMAIN SANS HYPOTHÉQUER LES CHANCES DES FUTURES GÉNÉRATIONS D'EN FAIRE AUTANT
Costume sombre et cravate club, Pavan Sukhdev, 48 ans, a gardé le look du banquier londonien. Son quotidien n'a pourtant plus grand-chose à voir avec l'excitation des salles de marchés dont il fut pendant vingt-cinq ans un acteur "engagé". Au point de se voir confier par la Deutsche Bank la création d'une filiale dédiée aux investissements financiers en Inde, son pays d'origine.
Depuis un an, il a largué temporairement les amarres d'une planète financière en pleine tempête en prenant la tête de l'ambitieuse étude commanditée par l'Union européenne sur "L'économie des écosystèmes et de la biodiversité". Après le rapport du Britannique Nicolas Stern sur le coût du changement climatique, publié en 2006, il devra éclairer la communauté internationale sur l'autre visage de la crise écologique.
Le résultat final de ces travaux, auxquels participent des dizaines de scientifiques, est attendu en 2010. Mais la publication, en juin, d'un document d'étape a fixé l'ampleur des enjeux : 60 % des écosystèmes planétaires ont subi d'importantes dégradations au cours des dernières décennies et, si les tendances actuelles se poursuivent, 10 % des espaces naturels sont voués à la disparition d'ici à 2050.
"On ne peut pas gérér ce qu'on ne sait mesurer. Quel que soit le degré de difficulté, si nous voulons vraiment gérer notre sécurité écologique, nous devons trouver les moyens de mesurer les écosystèmes et la biodiversité tant d'un point de vue scientifique qu'économique", argumente Pavan Sukhdev, convaincu que le capitalisme actuel a atteint ses limites. Sa critique ne le conduit toutefois pas à prôner le grand soir et, s'il ose parler de révolution, c'est en restant fidèle aux dogmes libéraux.
"Ce qui est très utile - l'eau, par exemple - n'a pas toujours une grande valeur et tout ce qui a beaucoup de valeur - par exemple les diamants - n'est pas forcément très utile", aime-t-il à citer. La phrase est d'Adam Smith, (La Richesse des nations, 1776), le père de la doctrine classique. Car, pour Pavan Sukhdev, ce serait déjà une révolution si l'on parvenait à donner un peu plus de valeur à l'eau, à la forêt, à tous les services essentiels rendus par la nature... et un peu moins aux diamants.
"La notion de succès doit être redéfinie. Au cours des deux derniers siècles, la recherche de gains financiers pour les actionnaires a été le seul baromètre de la réussite du monde des affaires. Ce n'est plus un modèle soutenable, affirme-t-il. La préservation des ressources naturelles représente désormais un tel enjeu que l'impact de l'activité économique sur la nature ne peut plus être traité comme une "externalité" négligeable."
S'il concède que son discours désoriente encore la plupart de ses interlocuteurs, il note cependant des progrès : "Mes collègues banquiers ne me regardent plus avec des yeux ahuris lorsque je leur parle de capital naturel et d'une autre façon d'envisager la croissance." Il fait en tout cas tout pour cela.
Parallèlement à l'évaluation des coûts économiques de la disparition de la biodiversité mondiale, il pilote, pour le compte du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), une "initiative pour une économie verte", dont l'ambition est de mettre entre les mains des décideurs des outils pour assurer la transition vers un modèle économique plus respectueux de l'environnement et capable de relever le défi du réchauffement climatique.
Pavan Sukhdev ne parle pas de décroissance et ne condamne pas abruptement la société d'hyperconsommation. Il sait que ces mots restent inaudibles dans le milieu qu'il fréquente. Ceux qui ont un discours plus radical n'ont pas d'objectif si différent du sien : il s'agit bien de réduire l'empreinte écologique des hommes sur la planète. De cela dépend, il y insiste, "la survie des plus pauvres", qui tirent directement de la nature l'essentiel de leurs moyens de subsistance.
Laurence CaramelArticle paru dans l'édition du 02.01.09.
Source : LeMonde.fr