L'Amérique au panthéon rock, part XI

Publié le 05 janvier 2009 par Bertrand Gillet


"Oui, On The Road Again, c’est, c’est, ah je ne connais qu’eux, ça va me revenir, les, oui, The, enfin vous voyez". Le syndrome du groupe mythique dont le nom ne survit jamais aux standards qu’il écrit. Il s’agit de Canned Heat, formé en 1965 à Los Angeles. Et pourtant… Leur histoire est jalonnée de classiques éternels. 1967, premier opus, Rollin' and Tumblin', nourri au blues malgré une pochette aux entrelacs aussi graphiques que psychédéliques. Le son est posé, il sera sous influence noire. 1968, Boogie With Canned Heat, deuxième effort et reconnaissance grâce à l’inusable On The Road Again ou à des perles comme Amphetamine Annie. On est à cent miles de l’acid rock qui éclabousse alors les citadelles que sont Los Angeles et San Francisco. Esthètes inconditionnels de John Lee Hooker ou de Muddy Waters mais peu mormons pour autant, les nerds de Canned Heat enflamment les foules, ralliant tous les hippies à la religion des Blue Devils, ces idées noires qui sont à la base du plus important courant musical du XXe siècle. Mais l’élasticité solaire de leur musique sort le bues du bayou pour le transposer sous des climats plus cléments, ceux de la Californie. 1969. Avant que l’aube Woodstockienne ne soit illuminée par un Going Up The Country sautillant, nos compères préparent leur Grand Œuvre qui nous intéresse aujourd’hui par sa force et son audace. Articulé autour des longs morceaux, Parthenogenesis et Refried Boogie (part I & II), l’album se joue des clichés psychédéliques de l’époque pour délivrer une musique en forme d’ode à la nature, poésie hédoniste signée par les cinq musiciens. Le reste est à l’avenant, entre country pop flûtée (Going Up The Country dans sa version studio), boogie fiévreux et rock généreux. Comme pour les lp précédents, Bob « The Bear » Hite et Al Wilson se partagent les vocaux surlignant de leurs timbres des classiques aussi immédiats et frais que My Mistake. Dans la lignée de Creedence Clearwater Revival, Canned Heat se pose en gardien du temple de l’esthétique rock avec un son aussi pur et authentique qu’un sermon les dimanches où le gospel s’époumone dans les lointaines campagnes. Qu’ils recyclent de vieux standards ou en façonnent de nouveaux, Bob Hite, Al Wilson et Henry Vestine semblent investis d’une mission divine portant au-delà des frontières cet héritage ancestral. Revenons à Parthenogenesis, ce morceau de 20 minutes débute dans les halos sublimes d’un bourdonnement oriental, joué à la guimbarde. La suite ( !) se veut la preuve exacte du vieil adage selon lequel on peut faire du neuf avec du vieux tant les notes assemblées se rapprochent de celles imaginées par les vieux maîtres, John Lee Hooker en tête ave qui Canned Heat enregistrera en 1971 un superbe opus. Quelques intermèdes abstraits constituent à chaque fois un rappel aux premières minutes, façon trip dilué dans la chaleur du soleil de Californie, on retrouve cette construction de l’espace musical chez John Mayall sur Barewires (Bear Wires sent d’ailleurs l’hommage à plein pif). Ce pionnier du blues anglais avait su « briser le blues » pour créer une matière plus aérienne, entre jazz et rock psyché sans pour autant tomber dans les facilités du genre, là aussi dilatée sur plus de 20 minutes. Deuxième disque, les choses se compliquent puisque l’on y trouve Refried Boogie par I sur la face 2 et pas très loin, à quelque 19 minutes près, Refried Boogie part II qui vient clore la deuxième face et l’album. Deux jams bien dans l’esprit de ces sixties mourantes qui voient des virtuoses comme Hendrix ou Zappa s’imposer avec des compositions longues et complexes. Une fois n’est pas coutume, leur érudition les amène à rejouer ces fameux quatre notes immortalisées dès le début du XXe siècle par des musiciens comme William Christopher Handy dont Memphis Blues en 1912 pourrait constituer l’acte de naissance du genre. Trêve d’exégèse, Livin’ the Blues se résume à cela : un double album magique, fidèle à ses idiomes et qui traverse le temps pour surgir plus novateurs que jamais.
La semaine prochaine : The Three Stooges