Vaincre le terrorisme de la notation tous azimuts qui favorise la médiocrité, détecter des individus qui métissent des savoirs, vérifier la disponibilité des offreurs de compétences… Pour trouver la perle rare dans une marée de compétences, les filets sont complexes.
Pierre Bunner, vous venez de publier un liblog sur les nouveaux défis du recrutement. Quels sont-ils ?
Le premier est de vaincre le terrorisme de la notation tous azimuts. Lancé il y a une quinzaine d'années par un site de vente aux enchères, ce système s'est répandu comme une traînée de poudre. Après les vendeurs, les élèves et les parents ont noté les enseignants, les patients leurs médecins, les clients leurs avocats, les employés leurs patrons... Si cette reconnaissance de la performance a bouleversé des moeurs et renversé des pyramides, elle a aussi ses limites. Nous sommes tous esclaves de nos croyances et nous avons tendance à confondre ce avec quoi nous sommes en accord et la qualité de celui qui en rend compte.
Vous indiquez qu'il favorise la médiocrité et massacre le talent. Pourriez-vous nous expliquer le principe avec un exemple ?
Pour l'article que vous êtes en train d'écrire, vous allez être noté. Comme vous êtes un professionnel, si vous faites preuve de peu d'originalité, vous aurez une note entre 11 et 14. En revanche, si vous êtes décapant et que vous avancez des idées peu banales, vous ne laisserez pas indifférent et aurez des notes soit très hautes, soit très basses. Les individus animés d'un sentiment négatif étant plus prompt à la notation, votre note finale se situera en dessous de la moyenne. Résultat, les rédacteurs en chef feront moins appel à vous et vos finances en pâtiront. Lors de votre prochaine mission, il y a des grandes chances que vous ne preniez pas de risque et que vous proposiez un article qui ne fasse pas de vague, en d'autres termes un article médiocre.
Votre deuxième défi est de détecter les talents ? Si je ne m'abuse, il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Hier les annonces emploi des journaux servaient aussi à cela.
La chose est rendue plus délicate du fait des nouvelles exigences des entreprises. Hier elles recherchaient des personnes ayant une compétence unique : un comptable, un informaticien, un juriste...
Aujourd'hui elles sont en quête d'individus qui, métissant différentes compétences, ont un savoir faire et des réflexions originales qui feront la différence. Un informaticien et juriste parlant cinq langues pensera différemment d'un informaticien ayant fait une thèse en littérature et une école de théâtre et donc effectuera des développements autres.
Dans ce cadre, le curriculum vitae s'avère dépassé, car il ne présente que des faits et n'indique rien sur les interactions effectuées entre différentes compétences.
Pour ce repérage, le meilleur moyen est encore de balayer le web et de rechercher les personnes créatives. C'est-à-dire celle qui mélangeant ses connaissances, imagine et invente dans son domaine. Même si nous améliorons chaque jour ce scanner, il est encore archaïque et laisse passer quelques perles !
Le troisième défi est de vérifier la disponibilité des offreurs de compétences. Est-ce le rôle de l'employeur ?
Je ne sais pas si c'est son rôle, mais sans aucun doute son intérêt. Avec l'éclatement des entreprises en services localisés aux quatre coins de la planète, l'emploi s'est morcelé. Il est devenu rare de travailler pour un unique employeur. On œuvre plus fréquemment deux ou trois en simultané et six ou sept dans l'année. Certaines personnes ayant des compétences pointues sont fortement sollicitées et ont des surcharges de travail trop importantes pour mener à bien les missions. S'il faut éviter de les solliciter, la vérification de la disponibilité est d'autant plus délicate que ces personnes ne sont plus présentes physiquement dans les entreprises.
Anne-Caroline Paucot