De la vision (légèrement) déformante d'une exposition sur un artiste. L'exemple de la rétrospective Andrea Mantegna au Louvre.
La question est la suivante : était-ce possible ? L'ensemble de la critique autorisée semble d'avis que oui, et l'exposition accomplit effectivement le tour de force promis, à quelques inévitables exceptions.
En effet, comme le rappelle Giovanni Agosti dans son très bel ouvrage "récit de Mantegna", l'art du peintre repose sur deux piliers : l'antique et l'illusion.
Bien sûr, il faut (fallait) courir voir cette exposition, y admirer quelques chefs d'oeuvres, en particuleir le tryptique enfin réuni de la prédelle de San Svevo, les relations picturales avec Bellini (ah ! la douceur de Bellini !), avec l'école flamande et Roger Van der Weyden (ah ! le réalisme ! oh ! le pittoresque, les petits lapins joueurs, les fleurs des champs aux pieds des martyrs), le fabuleux cabinet d'Isabelle d'Este et surtout voir l'évolution d'un peintre qui sur près d'un siècle est passé du statut de "premier peintre du monde" à celui d'un vieux maître toujours respecté, mais dépassé par la mode de la manière moderne.
La douceur du modelé est bientôt préférée à la dignité des sujets et la netteté des lignes, les couleurs s'étalent en vapeurs plutôt qu'en surfaces. Corrège, Léonard de Vinci ou Giorgione jettent l'art de Mantegna un style vieillot. Tout cela crée le sentiment d'une douce mélancolie après la profonde admiration, et ce n'est pas le dernier tour de force de cette exposition de susciter des sentiments si intenses et contrastés.
Comme le souligne admirablement Philippe Dagen, la longue série des estampes rappelle que Mantegna fut le contemporain de Dürer et de Bosch. Sous l'apparat des allusions à l'antique, l'intensité des passions et des appétits n'est jamais loin. Les monstres, les énergies déchaînées percent sur la sévérité du premier contact. Cette vigueur, cette cruauté, matinée de douceur Bellinienne et de pittoresque Van der Weydien construisent au final de ce magnifique parcours l'image d'un Mantegna diablement complexe, dont on admirera l'illusionnisme in situ, dans la chambres des époux de Mantoue.
Mantegna, Musée du Louvre, jusque début janvier. Voir le mini-site de l'exposition