5 janvier 1952/Sortie à Paris de La Terre tremble de Luchino Visconti

Par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


  Le 5 janvier 1952 sort à Paris La Terre tremble de Luchino Visconti.


   Inspiré à Luchino Visconti par un épisode des Malavoglia, roman de l’écrivain sicilien Giovanni Verga, La Terre tremble [La terra trema. Episodio del mare] a été tourné à Aci Trezza, dans la province de Catane. La première a eu lieu à Venise le 1er septembre 1948.

  Chronique minutieuse et réaliste d’un modeste village de pêcheurs siciliens, La Terre tremble dénonce l’exploitation capitaliste et la misère qui en dérive. À l’issue de la guerre, la situation des gens du petit port d’Aci Trezza, dans la province de Catane, est inchangée. Exploités par les mareyeurs qui leur louent barques et filets et s’emparent du produit de leur travail, les pêcheurs ont du mal à assurer leur subsistance.

  Se refusant à tout didactisme et à tout esprit de propagande, Luchino Visconti s’attache à décrire la misère de l’intérieur, en prenant appui sur la cellule familiale des Valastro. Antonio Valastro se révolte. Le fils aîné de la famille hypothèque sa maison et devient propriétaire de ses instruments de travail. Mais le succès obtenu ― une pêche aux anchois exceptionnelle ― est de courte durée. La révolte d’Antonio n’est pas suivie par les autres pêcheurs, qui considèrent sa lutte comme une lutte individuelle qui vise à changer de classe sociale, et perd de ce fait toute sa force révolutionnaire. À ce drame personnel vient s’ajouter une terrible tempête qui achève de ruiner l’entreprise du jeune homme et précipite sa famille dans une misère plus grande encore. Le pêcheur, acculé à la famine, accablé par l’échec de son entreprise, devra se résigner à abandonner le combat. Humilié, il retourne travailler pour les grossistes contre lesquels il s’est battu. Inutilement.

  Tourné dans le port même d’Aci Trezza, avec les pêcheurs du village, le film s’attache à donner à la critique sociale une grande vérité psychologique et dramatique. Les problèmes matériels évoqués et les difficultés sentimentales dans lesquelles la famille Valastro se débat, ne peuvent laisser indifférent le spectateur.

   « En 1947 », dit Luchino Visconti, « je débarquai en Sicile avec l’idée de réaliser mon œuvre. Je n’avais aucune idée préconçue. En parcourant l’île, mon grand scénario m’a été dicté par les hommes et les choses […] Le film est né de mes conversations avec les pêcheurs dans le port d’Aci Trezza. Mon héros, je l’ai trouvé dans le port. Il est pêcheur. Les deux sœurs sont les filles du propriétaire d’un petit restaurant. Sitôt qu’elles ont ajusté leur mouchoir noir, leur noble visage prend la grâce des Vierges de Léonard de Vinci. Nous avons commencé par mener toute la « famille » que je venais de constituer à Catane, chez le photographe, qui a tiré le portrait de « famille », élément important du drame. Puis l’histoire s’est déroulée au jour le jour, dans l’ordre à peu près logique d’un scénario qui m’était le plus souvent dicté par les interprètes eux-mêmes. Ils n’avaient, chose extraordinaire, aucun complexe face à la caméra. Le vrai travail, avec les acteurs, c’est de leur faire vaincre leurs complexes, leur pudeur. Mais ces gens-là n’avaient aucune pudeur. Par exemple, je prenais les deux frères et je leur disais : « Voici la situation. Vous avez perdu votre barque, vous êtes dans la misère, vous n’avez plus à manger, vous ne savez plus que faire. Toi, tu veux t’en aller, tu es tout jeune, et l’autre veut te retenir. Dis-lui ce qui t’attire loin d’ici. » Il me répondait : « Voir la ville de Naples, je ne sais pas, enfin… »
  ― « Bon, c’est ça ! Mais pourquoi ne veux-tu pas rester ici ? » Il me disait alors exactement ce qu’il dit dans le film : « Parce que, ici, on est des animaux. On ne nous donne rien. Alors, je voudrais vite voir le monde ». Puis je suis allé vers l’autre : « Qu’est-ce que tu dirais à ton frère pour le retenir, à ton vrai frère ? » Il était déjà ému, les larmes aux yeux. Il croyait que c’était son vrai frère. C’est ce qu’on veut obtenir des acteurs et qu’on n’obtient jamais. Les larmes aux yeux, donc, il disait : « Si tu vas plus loin que les récifs, la tempête t’emportera. » Qui aurait pu écrire cela ? Personne. Il le disait en sicilien. C’était comme du grec. Puis je leur faisais répéter le texte, trois ou quatre heures parfois, ainsi qu’on fait avec les acteurs. Mais on ne changeait plus les mots. Ils étaient devenus fixes, comme s’ils étaient écrits. Et pourtant, ce n’était pas écrit, c’était inventé par les pêcheurs. »

Bruno Villien, Visconti, Calmann-Lévy, 1986, page 56.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli



LUCHINO VISCONTI


Image, G.AdC

Voir aussi :
- (sur YouTube) un extrait de La terra trema ;
- (sur Terres de femmes) 15 juin 1942/Début du tournage d’Ossessione par Luchino Visconti ;
- (sur Terres de femmes) 2 octobre 1952/La Locandiera de Goldoni mise en scène par Luchino Visconti ;
- (sur Terres de femmes) 23 mai 1963/Palme d’or pour Le Guépard de Luchino Visconti ;
- (sur Terres de femmes) 15 décembre 1989/Mort de Silvana Mangano (notice sur Violence et passion de Luchino Visconti) ;
- Le site (en italien) entièrement dédié à Luchino Visconti et à son œuvre.




Retour au répertoire de janvier 2009
Retour à l' index de l'éphéméride culturelle
Retour à l' index des auteurs

» Retour Incipit de Terres de femmes