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La patrie reconnaissante (1)

Publié le 05 janvier 2009 par Sammy Fisher Jr
En ce temps là, tous les lieux de la ville avaient été baptisés du nom d'un homme célèbre. Les grands boulevards, les avenues, les rues de taille moyenne et les petites rues sans importance s'étaient vu octroyer des patronymes d'écrivains étudiés dans les écoles, de présidents des siècles passés, de scientifiques connus, de navigateurs trépassés et d'astronomes hirsutes.
On avait à ce point bien fait les choses que la moindre placette portait le nom d'un ancien maire, le moindre passage couvert celui d'un écrivain régionaliste. Il ne restait plus rien à nommer ; même les places de stationnement inoccupées devant le cimetière s'enorgueillissaient de la gloire passée d'un maréchal qui avait grandement contribué à garnir ledit cimetière.
La patrie reconnaissante (1)
Mais l'on continuait pourtant à construire, et il arriva un jour où l'on fut à court de noms à distribuer. Il n'y en avait plus. Même les notoirement oubliés et les injustement méconnus avaient été utilisés. Tout ce que la ville comptait d'intellectuels se mit alors à réfléchir. Mais les architectes, les bibliothécaires, les instituteurs, les agents de la circulation et madame Michu, concierge au 17, rue Amédée Bollée, avaient beau se creuser la tête et éplucher leurs dictionnaires, la situation paraissait sans issue.
Le conseil municipal au grand complet, réuni dans la grande salle des mariages de l'Hôtel de ville pour se pencher sur cette crise, était bien en peine de trouver une solution. Il n'était pas question d'éluder le problème avec les habituels dérivatifs fabriqués à partir d'un nom de lieu, la ville ayant déjà son lot d'avenue de la gare, rue de la poste et autres place de l'église.
La patrie reconnaissante (1)
Quelqu'un proposa bien de réutiliser le système déjà employé pour le tout récent quartier résidentiel, aux maisons agglutinées et identiques, où les rues trop étroites et toutes semblables portaient des noms d'oiseaux apportant, avec force rossignols, cigognes et mésanges, une poésie de toute façon à jamais absente de ce lieu sans âme.
Le maire s'emporta, demandant ironiquement pourquoi ne continuait-on pas le système, après tout c'était bien pratique, avec les animaux, les insectes, les légumes, et puis aussi les planètes, et les astéroïdes, c'est vrai qu'on en parle pas assez ! Après tout, quitte à subir les quolibets des journalistes, autant que ce soit pour avoir inauguré une rue 1998 SM165 ou un square 951 Gaspra, que pour avoir dévoilé, devant un parterre médusé, la plaque de l'allée des nénuphars.
A suivre...

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