"Les Israéliens s'illusionnent s'ils tablent sur un renversement du Hamas par la population"

Publié le 05 janvier 2009 par Unemarocaine
LE MONDE | 05.01.09 | 09h45  •  Mis à jour le 05.01.09 | 12h49

Ramallah envoyé spécial

Salah Abdel-Jawad, vous êtes professeur d'histoire à l'université de Bir Zeït. Quel est selon vous l'objectif de l'offensive israélienne dans la bande de Gaza ?

 Il ne s'agit pas simplement de détruire tel ou tel mouvement politique. Sinon pourquoi bombarder les ministères, l'Université islamique et l'Ecole américaine de Gaza ? Tout comme le saccage des bâtiments publics opéré en 2002, lors de l'invasion de la Cisjordanie, ces actions participent d'un plan concerté. Il vise à détruire non seulement l'entité politique palestinienne mais aussi et surtout la société. L'objectif est de créer une forme de résignation, d'amertume, d'imposer une violence quotidienne, que les Palestiniens finissent un jour par retourner contre eux.

Et puis il y a une autre théorie. Elle dit qu'Israël cherche à renforcer le Hamas, à développer une situation où non seulement la bande de Gaza mais aussi la Cisjordanie seraient sous sa domination. Bien sûr, militairement, le Hamas sera défait. Le rapport de force est intenable. Mais à moins que l'armée israélienne n'écrase complètement les islamistes, ceux-ci devraient émerger de l'attaque avec une audience accrue. A Gaza comme en Cisjordanie.

Le Hamas n'a pas la carrure du Hezbollah. Comment pourrait-il sortir vainqueur, même politiquement, de la confrontation actuelle ?

Laissez-moi vous raconter une histoire personnelle. En juillet 1980, au moment où je songeais à me présenter à la mairie de ma ville, Al-Bireh, en remplacement de mon père qui avait été exilé, les Israéliens m'ont arrêté. Après plusieurs jours d'interrogatoire ponctué de coups, avec les mains menottées dans le dos, une cagoule sur la tête et une privation de sommeil, je me suis effondré. Je me suis dit, "OK, c'est fini, je vais mourir".

Paradoxalement, à partir de ce moment-là, j'ai pu supporter plus facilement les quatre-vingt-dix autres jours de l'interrogatoire. C'est la même chose aujourd'hui à Gaza. Une grande partie de notre peuple n'a plus peur de la mort. Toutes ces frappes l'ont doté d'un système immunitaire qui lui permet d'aller jusqu'au bout. Et cela Israël ne le comprend pas.

Pourtant Israël affirme avoir tiré les leçons de son échec au Liban sud…

Effectivement, les soldats israéliens ne manquent plus d'eau, ils disposent tous d'un gilet pare-balles et leur préparation est meilleure. Mais dans l'Histoire, les guerres ne se perdent pas sur des questions techniques. Les peuples ou les régimes sont battus parce qu'ils sont captifs d'un concept. Israël est prisonnier de son paradigme militaire. Il considère les Arabes comme des indigènes qui ne comprennent que le langage de la force.

Bien qu'ils disposent du meilleur service de renseignement au monde, les Israéliens n'ont pas compris que les gens de Gaza, parce qu'ils y sont enfermés depuis des années, n'ont plus rien à perdre. Comme Nizar Rayan, ce dirigeant du Hamas [assassiné jeudi 2 janvier dans le bombardement de sa maison, avec ses quatre femmes et onze enfants] qui n'a même pas jugé bon de se cacher. Le gouvernement israélien devrait pourtant savoir combien c'est une erreur de ne pas laisser un seul espoir à son ennemi.

Le retrait israélien de Gaza en 2005 n'était-il pas justement une chance ?

A cette époque, je pensais que le Hamas devait cesser toutes ses actions de façon à ce que l'on construise à Gaza un modèle destiné à encourager Israël à prendre le chemin de la paix. Or à ce moment, Israël s'est mis à assassiner des responsables du Jihad islamique en Cisjordanie. Logiquement, les miliciens de la même organisation, à Gaza, se sont mis à répliquer.

Par ailleurs, Israël n'a jamais laissé les gens de Gaza vivre en paix. Il ne leur a jamais donné les moyens d'une véritable indépendance, économique et sociale, en ouvrant les points de passage. Avec le Hamas, dont on sous-estime le pragmatisme, Israël aurait pu négocier une tahdia (trêve) pour de longues années. Mais l'armée a voulu casser la tahdia.

En attaquant au mois de novembre [l'armée israélienne avait mené, dans la nuit du 4 au 5 novembre 2008, un raid contre un tunnel creusé à proximité de la frontière avec Israël, qui a relancé les tirs et renforcé en représailles le blocus de Gaza], un mois avant la fin de la trêve, elle savait que le Hamas répondrait.

En tant que laïc, la montée en puissance du mouvement islamiste vous inquiète-t-elle ?

Il y a quelques Palestiniens, dans l'élite culturelle et politique, qui estiment que le Hamas est un danger plus important qu'Israël. Ce n'est pas mon cas. Les Israéliens s'illusionnent s'ils tablent sur un renversement du Hamas par la population. Savent-ils seulement que sur les quinze dernières années, je n'ai pas pu aller plus de trois fois à Jérusalem, alors même que c'est à quinze kilomètres de ma maison ? Que depuis 1993, je n'ai pas pu voir la mer ? Non, ils ne connaissent rien de notre vie.

Dans les journaux palestiniens, il y a chaque jour une demi-douzaine d'articles traduits de la presse israélienne. En revanche, les quotidiens israéliens, même les plus éclairés comme Haaretz, ne publient quasiment jamais d'articles signés d'un Palestinien.

Propos recueillis par Benjamin Barthe