C’est l’an neuf et même l’an 2009. Alors pour sacrifier au sympathique rituel des vœux, j’offre à tous les lecteurs de ce blog un poème que je trouve de circonstance. Puisqu’on voudrait qu’à chaque Premier janvier que Dieu fait, il y ait comme un nouveau commencement, alors recommençons donc sur un mode résolument poétique !
Le nouvel an n’est certes pas un commencement fondamental comme celui sur lequel s’ouvre le prologue de Jean l’évangéliste : Au commencement était le Verbe… C’est un recommencement calendaire et du coup, il faudrait sans doute y mettre le pluriel comme le grand Joseph Brodsky, prix Nobel de littérature en 1987, et dire « les verbes ». En ces temps de roquettes du Hamas et d’offensive de Tsahal sur la bande de Gaza, on voudrait souhaiter que la paix règne sur terre et l’amour parmi les hommes. En ces temps de crise (économique, sociale, sociétale, de valeurs, politique et je ne sais quoi encore…), on voudrait bien aussi que la joie soit dans les cœurs…
On n’a que des mots pourtant et même ces mots là ne sont pas à prendre comme argent comptant, et comme dit Brodski, il ne faut pas “se perdre dans les étages indécis de l’optimisme universel”. Donc attention au poids des mots, mais vive la parole salvatrice quand même ! Sinon comment espérer voir une porte s’ouvrir, celle à laquelle l’homme frappe vainement dans ce poème ? Mais je reviendrai bientôt sur Brodski… Il n’empêche qu’il ne faut pas se taire et c’est bien pourquoi j’entends continuer à me servir de ce formidable mode d’expression libre que reste un blog : la liberté d’expression ne s’use que si l’on ne s’en sert pas !
Allez, bonne année 2009 et surtout la santé !
Les Verbes
Les verbes m’entourent dans le silence
comme des visages d’étrangers, les verbes,
verbes affamés et verbes sourds,
verbes sans nom, verbes simplement,
verbes qui vivent dans les caves,
parlent dans les caves,
naissent dans les caves,
sous les étages indécis
de l’optimisme universel.
Ils s’en vont travailler chaque matin,
coulent du ciment, traînent des pierres,
bâtissent la cité… Non ! Ils érigent
un monument à leur propre solitude.
Ils s’en vont comme on se perd dans la mémoire
d’autrui, marchent au pas le long des mots
et de leurs trois temps en colonne
les verbes montent sur le Golgotha.
Le ciel plane au-dessus d’eux
comme un vautour au-dessus d’un cimetière,
et, comme dressé devant
une porte fermée,
un homme frappe, enfonce des clous
dans le passé
dans le présent
dans le futur.
Nul ne viendra jamais témoigner.
Les coups de marteau résonnent
au rythme lent de l’éternité.
Sous les verbes gît l’hyperbole de la terre
et la métaphore du ciel flotte au-dessus d’eux.
Joseph Brodsky (Iossif Brodski), Collines et autres poèmes, traduction de Jean-Jacques Marie, préface de Pierre Emmanuel, éditions du Seuil 1966.