En 1895, celui que l'on considère aujourd'hui comme l'un des pères
fondateurs de la documentation décrit un « Réseau universel
d’information et de documentation, capable de mettre en relation tous les
organismes particuliers de documentation. Sous nos yeux, écrit-il, est en voie
de se constituer une immense machinerie pour le travail intellectuel. Elle se
constitue par la combinaison des différentes machines existantes, dont les
liaisons nécessaires s’entrevoient. Cette machinerie constituerait un véritable
cerveau mécanique et collectif… ». On pense évidemment à Internet comme
terreau de l'explosion de l'information telle que nous la vivons
actuellement.
Mais si l'hypertexte et ses dérivés technologiques et applicatifs ont
bouleversé la documentation et la veille, la bibliothéconomie n'a pas encore
connu la révolution qu'apportent aujourd'hui certains réseaux sociaux. En
effet, bien que l'idée de catalogage partagé soit maintenant relativement
ancienne (1) et que nous connaissions certains grands réservoirs de notices
(OCLC, Sudoc...), les projets sont toujours partis du haut vers le bas, au
contraire du sens « inventé » par le Net : du bas vers le
haut.
1994. Un jeune bibliothécaire est bombardé responsable de plusieurs secteurs
scientifiques alors qu'il est titulaire d'une maîtrise d'histoire. Pour vaincre
le découragement face aux piles d'ouvrages abscons qu'il se doit de cataloguer
quotidiennement, il dispose d'un outil pour sortir de l'isolement. Telnet lui
permet d'émuler un terminal pour accéder à d'autres catalogues de bibliothèques
(locis.loc.gov, opale02.bnf.fr...) et rechercher si quelques bonnes âmes
auraient déjà catalogué les traités en attente sur son bureau. Parfois cela
marche, et souvent... non. Il peste alors de devoir faire imparfaitement ce
qu'un autre – inconnu - fera certainement mieux que lui quelques temps plus
tard.
2007. Librarything, nimbé de la simplicité et de la rapidité de sa génération
2,0, pourrait révolutionner les techniques de catalogage partagé. Et renouveler
par là-même la passion de la bibliophilie. La simplicité se manifeste dès
l'inscription, où login et password sont les seules « données personnelles
exigées. A partir de là, il ne tient qu'à vous de remplir immédiatement vos
premiers rayonnages virtuels. Quelques mots (titre, auteur...) suffisent pour
rechercher votre ouvrage dans les catalogues de nombreuses bibliothèques
prestigieuses (Bibliothèque Nationale de France, Bibliothèque du Congrès,
Canadian National Catalog, Sudoc...) ou mieux, l'une des déclinaisons
régionales du géant Amazon pour obtenir dans le même mouvement la reproduction
de la couverture. Si vous avez l'ouvrage en main, comme tout bon bibliothécaire
qui se respecte, la saisie de l'ISBN vous conduira directement à la bonne
édition. Un clic, pas plus, est requis pour faire entrer la notice dans votre
bibliothèque virtuelle. Tous les champs sont déjà saisis, mais sont éditables.
La récupération des données utilise le protocole Z39.50, bien connu des
bibliothécaires « échangistes ». Il est même possible de saisir des
dizaines de codes ISBN dans un fichier texte, le charger en ligne pour voir
apparaître les références correspondantes une journée plus tard.
Les désormais traditionnels tags vous permettent de catégoriser ensuite
aisément vos ouvrages : bien loin du très riche mais quelque peu complexe
Rameau (Répertoire d'autorité-matière encyclopédique et alphabétique unifié),
libre à vous de choisir la forme et l'usage de vos descripteurs.
Une fois quelques ouvrages entrés, vous pouvez consulter votre fonds, soit en
liste (pratique) ou sous forme de rayonnage dans lequel sont alignés toutes les
couvertures (joli !).
Mais Librarything révèle toute sa puissance lorsque l'on regarde sa propre
bibliothèque comme un élément d'un vaste tout. Il est évidemment possible de
rechercher transversalement sur l'ensemble du fond constitué par toutes les
bibliothèques des membres. Mais d'autres dispositifs très simples viennent
sophistiquer les délices du catalogage partagé. On peut ainsi pister tous les
autres détenteurs d'un ouvrage de son fonds, avec l'idée qu'ils en possèdent
forcément d'autres qui pourraient nous intéresser et que l'on ne connaît pas
encore. Mieux, chaque item dispose de son « information communautaire »:
le nombre d'autres membres possédant l'ouvrage et le nombre de critiques
rédigées à son propos. Un ensemble d'outils permettent également de suggérer
automatiquement d'autres références à partir de l'ensemble de votre collection
ou d'un élément particulier ; c'est évidemment plus ou moins heureux. Une
page de statistiques offre de nombreux indices de suivi (nombre d'ouvrages, de
critiques, de mots-clés, langues des documents, années d'édition...). On notera
un curieux critère « Obscurité médiane/moyenne des livres »
(« nombre d'utilisateurs ayant des livres de votre collection ») que je
n'ai pas encore réussi à percer à jour ainsi que la liste des ouvrages partagés
avec un unique autre utilisateur (ça sent la drague culturelle tout
cela...).
Bien évidemment, un widget (petit bout de code permettant d'imbriquer un
service sur une autre page) est disponible pour afficher un échantillon
aléatoire de son fonds sur son propre blog.
Enfin, le bibliothécaire 2.0 est invité à dialoguer au travers de forums
thématiques (encore peu de francophones).
Tout cela est tellement simple qu'il serait insensé de ne pas en profiter.
Alors qu'attendez-vous pour vous inscrire ? Votre première étagère
virtuelle vide vous attend, ainsi que 250 000 utilisateurs et 17 millions
d'ouvrages.
Bienvenue dans ma bibliothèque : http://www.librarything.fr/catalog/legrenier
(1)En 1971 est créé en France le Bureau pour l'automatisation des bibliothèques
(BAB) qui se fixe comme missions : " participation au réseau
bibliographique international, catalogage national centralisé, automatisation
des catalogues collectifs nationaux, création d'un centre informatique unique
et autonome, préparation d'analyse des fonctions de gestion automatisées "
http://olivier.roumieux.free.fr/impact/documents/docI4.htm