Ce qui suit est faux : ce qui précède est vrai !

Publié le 04 janvier 2009 par Galaxiedesparadoxes@orange.fr

(parution in Journal du Jeune Praticien, n°43 du 30 septembre 1985)

Vieux sans doute comme le monde, mais toujours fascinants, les paradoxes s’avèrent éminemment instructifs et, pour peu qu’on y prête attention, ils peuvent nous interroger sur les fondements de nos pratiques professionnelles, comme sur la vie courante elle-même. Cet article propose un survol de certaines catégories de paradoxes classiques ou moins connus. Il vise surtout à sensibiliser le jeune praticien sur des thèmes de réflexions encore trop délaissés par la Faculté, alors qu’ils ont pourtant puissamment contribué à l’avancée intellectuelle aux États-Unis (École de Palo Alto notamment).

Les « faux paradoxes »

À tout seigneur, tout honneur ! Montrons-nous particulièrement paradoxaux en évoquant d’abord des situations qui sonnent comme des paradoxes, qui ont le goût des paradoxes, mais qui ne sont pas des paradoxes. Elles traduisent seulement des contraintes mentales que nous nous imposons à notre insu, bien à tort en général, pour trouver la solution à de nombreux problèmes ; quand il faudrait, tout au contraire, savoir alors sortir des sentiers battus pour s’en tirer avec élégance et rapidement. De telles contraintes inaperçues parasitent ainsi parfois nos raisonnements médicaux et expliquent souvent notre cécité devant certains diagnostics peut-être trop évidents pour être évoqués d’emblée, sans nous embarrasser d’innombrables diagnostics différentiels ou d’inutiles examens complémentaires… Deux histoires classiques illustrent ces contraintes cachées. On croit d’abord ces problèmes impossibles, et leur énoncé paradoxal ou erroné, alors que…

Le paradoxe des jumeaux

Précisons qu’il ne s’agit nullement ici du célèbre paradoxe des « jumeaux de Langevin » impliquant la dilatation relativiste du temps. Inutile d’imaginer un quelconque vaisseau spatial photonique pour résoudre cet autre problème de jumeaux ! Vous pouvez même rencontrer concrètement cette situation dans votre entourage : Jean-Pierre et Jean-Paul sont deux frères jumeaux homozygotes ; pourtant, ils ne sont pas nés la même année et aucun ne fut prématuré. Comment est-ce possible ? La solution se trouve ci-dessous…
Les contraintes mentales occultes

Jean-Pierre est né par exemple le 31 décembre 1980 à 23h 57 et son frère Jean-Paul est né, lui, le 1er janvier 1981 à 0h 10. Bien qu’ils ne soient pas nés la même année, ces jumeaux ont bien le même âge, à un quart d’heure près ! Cette histoire, comme la suivante, souligne les limitations artificielles que nous nous imposons inconsciemment. Devant une situation insolite (comme celle des jumeaux d’âge « différent », ce qui paraît paradoxal) nous nous trouvons alors bloqués, faute de savoir dépasser nos cadres habituels de raisonnements, reflets des situations les plus courantes : par exemple, la majorité des jumeaux sont nés la même année, mais il n’est pas indispensable d’être nés la même année pour être jumeaux, comme nous le croyons a priori volontiers, forts de l’expérience générale que nous avons des jumeaux !
Le tracé continu

Neufs points se trouvent disposés comme suit :


Parviendrez-vous à les relier d’un tracé continu (quatre traits droits sans lever le crayon) sans repasser deux fois par le même point, avant de voir la solution ?
Les contraintes mentales occultes

Le problème des 9 points à relier illustre le même type de contraintes mentales cachées. Rien, dans l’énoncé, ne précise qu’il faut nécessairement s’en tenir au cadre de la figure, c’est-à-dire à l’intérieur du carré ABCD, pour résoudre le problème. Pourtant, devant ces 9 points, nous sentons automatiquement le « besoin » de chercher la solution entièrement à l’intérieur de ce cadre. Contrainte superflue et nuisible même, car la solution consiste à savoir s’affranchir de ce « cadre forcé » et à accepter l’idée, apparemment moins « naturelle », que le tracé demandé puisse sortir du carré ABCD (points de rebroussements extérieurs E et F).

Les paradoxes sémantiques

Cette catégorie très importante de paradoxes traite de valeurs de vérité. Elle se rattache à une autre classe de paradoxes, traitant de classes d’objets et liés à la théorie mathématique des ensembles. Ces paradoxes issus de la logique et de la théorie des ensembles ont puissamment contribué, au début du XXème siècle, à renouveler les idées sur les fondements des mathématiques et ceux de la logique (notion de contradiction, de consistance d’une théorie, de mérasystème, de réductibilité d’une discipline à une autre, etc.). Des logiciens comme Bertrand Russel, Alfred Tarski ou Kurt Gödel comptent parmi les plus brillants esprits de ce siècle et ont fondé leurs découvertes en grande partie sur l’étude de paradoxes apparemment futiles ! Que dire, par exemple, d’une copie d’examen de médecine qui tiendrait en ces trois lignes :
A. La thyroïde n’est pas une glande endocrine.
B. La thyroïde est un organe abdominal.
C. Mes propositions A, B et C sont fausses toutes les trois.
A et B sont assurément fausses, mais C n’est ni vrai ni faux. Étant vrai en partie (fausseté de A et B) il ne peut être faux, mais il ne peut être vrai non plus en totalité, car il affirmerait alors sa propre fausseté : contradiction assurée dans tous les cas, et perplexité du jury devant une telle copie ! Martin Gardner raconte comment, sur ce même principe, on peut « affoler » un ordinateur en le programmant avec un programme où est inséré un segment affirmant la fausseté du programme : « en 1947, W. Burkhart et T. Kalin, alors étudiants à Harvard, insérèrent le paradoxe du menteur (ce programme est faux) dans un programme : l’ordinateur entra dans une phase oscillatoire faisant un boucan du tonnerre ! » (les ordinateurs d’alors comportaient alors des éléments électromécaniques assez bruyants). De là à considérer, par analogie, que la pathologie mentale est plus ou moins liée, également, à des communications paradoxales, il n’y a qu’un pas… que l’École de Palo Alto a franchi. On connaît les travaux de Bateson sur le déterminisme et l’auto-entretien de la psychose, dans un réseau de communications paradoxales (dans le cadre familial en général). Le concept-clef est celui du conflit informationnel : une phrase, une demande des parents à leur enfant, une exigence sociale… contiennent en leur sein une contradiction, quelquefois difficile à objectiver. C’est la notion de « double lien », le paradoxe de l’obéissance dans la désobéissance ou de la désobéissance dans l’obéissance. Le plus connu est l’injonction paradoxale invitant quelqu’un à se montrer spontané. En s’y conformant, il ne peut que perdre sa spontanéité (qui consiste à ne pas être influencé par l’extérieur) et c’est seulement en ne s’y pliant pas qu’il restera, paradoxalement, spontané. L’École de Palo Alto a développé, à partir de ces conceptions psychopathologiques originales, des idées pour casser les cercles vicieux de la communication paradoxale et qui débouchent sur des méthodes thérapeutiques nouvelles (mais ne s’implantant que timidement en France, tant du fait du primat traditionnel de la psychanalyse dans ce pays que de l’impréparation des esprits aux concepts gravitant autour de la notion de paradoxe, dont on méconnaît surtout l’intérêt pratique et théorique dès l’école). Il faut lire, à ce sujet, les ouvrages de Paul Watzlawick. Mentionnons ainsi la « technique de confusion » et les « thérapies brèves » de Milton Erickson, et les « thérapies familiales » (Ackerman, Bateson, Virginia Satir…). Par exemple, pour dégoûter un enfant de sucer son pouce, vous pouvez lui dire qu’il doit sucer tous ses doigts en permanence ! Vous substituez alors, au plaisir de la spontanéité infantile, le déplaisir de la coercition de la coercition, ce qui s’avère, parfois, plus efficace que l’interddiction classique. De même, devant un patient presque mutique ou très inhibé, la plupart des thérapeutes de formation analytique ont tendance à se taire eux-mêmes (comme devant n’importe quel patient, d’ailleurs) pour ne pas l’influencer et goûter avidement les rares paroles de ce patient. Mais il s’avèrerait parfois beaucoup plus efficace, au contraire, de… couper immédiatement la parole au malade dès qu’il lâche enfin un mot ! Car la frustration de ne plus être alors le point de mire pour son praticien pourra peut-être ainsi l’amener à augmenter son débit verbal. Ces thérapies paradoxales ne sont certes pas des panacées applicables n’importe comment ni en toute circonstance, mais elles ont du moins le mérite de ne plus résumer la psychothérapie à la seule démarche psychanalytique, en offrant au médecin une nouvelle voie dans un domaine, la pathologie mentale, où chaque approche peut aider à débloquer une situation délicate… Le titre de cet article est d’ailleurs un paradoxe sémantique, inspiré du célèbre paradoxe dit de Socrate et Platon, dont voici la version classique : Platon : « La prochaine proposition de Socrate sera fausse ». Socrate: « Platon a dit la vérité ». Il semble que ce type de paradoxes remonte aux Grecs. Au VIè siècle avant J.C., Épiménide affirmait ainsi : « Je suis un Crétois, et tous les Crétois mentent toujours ! » Épiménide est-il ou n’est-il pas Crétois ? Ment-il ou non ? « Être ou ne pas être, là est la question… » Dans cette lignée du « paradoxe du menteur », Bertrand Russel a construit le « paradoxe du barbier », dont nous allons donner (Journal du Jeune Praticien oblige !) une version médicale : dans la ville d’Utopia, un médecin soigne tous ceux qui ne se soignent pas eux-mêmes. Ce médecin se soigne-t-il ? … Aux plus chaudes heures de 1968, souvenons-nous qu’il était « interdit d’interdire » ! Et enfin, toujours du logicien Bertrand Russel, ce « paradoxe des maires de Hollande » : en Hollande, une loi interdit aux maires d’habiter leur propre commune ; et une autre loi invite aussi les maires à se regrouper pour habiter tous la ville d’Amsterdam. Mais où loger le maire d’Amsterdam, en conformité avec ces lois ?…

Les paradoxes gigognes

Ces paradoxes sont basés sur des régressions infinies, comme le fameux problème de l’antériorité de la poule et l’œuf ou vice versa ? (Problème philosophique, mais aussi biologique, dans sa version de biologie moléculaire : quelle est l’antériorité respective des acides nucléiques codant pour les protéines et des enzymes –protéiques !– catalysant la synthèse des acides nucléiques ?). Les paradoxes gigognes concernent certaines situations dont les conditions déclenchantes s’emboîtent littéralement les unes dans les autres, comme les matriochkas, ces célèbres poupées russes. C’est ainsi que, dans le domaine de l’imagerie médicale par exemple, le Quotidien du Médecin du 11 mars 1985 s’intéressait à l’échographie en obstétrique (article du Dr Constance Joël). On se demande si l’inflation actuelle de cet examen complémentaire (réputé anodin) s’avère véritablement dénuée de tout danger pour le fœtus, notamment quand on multiplie les échographies pour suivre une grossesse à risque. On estime que l’échographie, normalement pratiquée, n’entraîne aucun retentissement fœtal. Mais, si l’on voulait vraiment s’assurer que n échographies rapprochées n’ont pas laissé de séquelle pathologique, ne faudrait-il pas en théorie… pratiquer une (n+1)ème échographie ? Laquelle serait, bien entendu :
- soit inutile (en l’absence de tout trouble à diagnostiquer) ;
- soit aussi nuisible que les précédentes (si danger lié à l’échographie il y avait). Le Dr Constance Joël écrit : « malgré l’importance des connaissances amassées à ce sujet, il est probable que l’on verra des situation aussi absurdes que celle de cette femme enceinte venue consulter à Clamart pour une échographie dans le but de dépister une éventuelle malformation, secondaire à une précédente échographie ! » Dans le même ordre d’idées, l’arrivée récente [1985] du Minitel nous conduit dans une situation paradoxale gigogne similaire. En effet, entre autres usages, le Minitel est destiné à remplacer à terme, grâce au service de l’annuaire électronique, la totalité des annuaires traditionnels imprimés sur papier. Mais le Minitel se trouve livré, lui-même, avec un… annuaire imprimé ! Lequel recense la liste de ses possibilités et des divers services télématiques proposés. Et, si le répertoire accompagnant actuellement le Minitel reste encore d’un encombrement modeste par rapport aux annuaires téléphoniques ordinaires, c’est seulement parce qu’il n’existe pas à ce jour d’innombrables centres serveurs. Mais dans l’avenir, quand les services télématiques se multiplieront, la taille de ce répertoire tendra, fatalement, vers celle des gros annuaires classiques que la télématique (grâce au Minitel) avait précisément l’intention de reléguer au musée. Autrement dit, la disparition définitive de l’annuaire-papier… Autre paradoxe gigogne : l’intention d’oublier. Pour essayer d’oublier un événement pénible, ne vous répétez surtout pas : « il faut que j’oublie, il faut que j’oublie, il faut que j’oublie… » Par effet de réverbération sur votre mémoire, vous n’arriveriez alors qu’à… mieux vous souvenir ! …

Les beautés de l’administration

« Courtelinesque », « kafkaïenne » ! Que n’a-t-on déjà glosé au sujet de l’administration ! Vous savez par exemple comment l’on procède pour se débarrasser d’un collaborateur jugé incompétent ou indésirable dans l’administration ? On lui accorde la notation maximale, pour favoriser au plus vite sa mutation ! Bien entendu, on prend soin, au contraire, d’infliger une notation médiocre à son collaborateur le plus efficace, afin de l’attacher le plus longtemps possible à son service, en lui interdisant ainsi toute velléité de mutation. Comme dit l’Écriture, « les premiers seront les derniers »… Mais si l’administration nous semble si souvent ubuesque, c’est en partie le fait de sa tendance indéracinable à se prendre elle-même pour modèle ou objet de réflexion. Se faisant constamment autoréférence, elle ne peut que sécréter, à perte de vue, des paradoxes autoréférentiels. Apparentés aux paradoxes gigognes, ils ressemblent à ces serpents qui se mordent la queue : la douleur de la morsure ne peut qu’accentuer la colère stérile de la morsure. Le type de ces paradoxes n’a pourtant rien d’administratif, puisque c’est l’individualisme parfait où l’on a seulement besoin des autres pour… leur signifier qu’on n’a pas besoin d’eux ! … 
S’infiltrant partout, et en particulier en elle-même, l’administration ne peut que cultiver les situations paradoxales de ce type. Il faut des fonctionnaires pour vérifier le travail d’autres fonctionnaires vérifiant celui d’autres fonctionnaires, et ainsi de suite… Comme dans le tableau célèbre où un peintre est représenté en train de peindre, etc. Ou les boucles d’oreille d’une certaine Vache, non moins célèbre, mais qui possède sur l’administration l’avantage d’un sourire indéfectible.

Voici deux exemples réels de paradoxes administratifs :

♦ Le premier concerne le monde médico-social. Un enfant handicapé vient à être hospitalisé. Les parents découvrent alors l’existence du fameux forfait hospitalier, sorte de « ticket modérateur » restant à leur charge sur le prix de journée. Ils demandent aussitôt à la C.D.E.S (commission départementale d’éducation spécialisée, créée par la loi du 30 juin 1975 en faveur des handicapés) l’octroi d’une A.E.S (allocation d’éducation spécialisée) [*] qui leur est accordée à titre provisoire durant la période d’hospitalisation, en raison de l’aggravation des charges leur incombant. Mais ils découvrent alors que l’attribution de cette A.E.S officialise pour ainsi dire le statut d’handicapé en ouvrant le droit, pour leur enfant, à une exonération du forfait hospitalier qui constituait, précisément, le primum movens de leur démarche auprès de la C.D.E.S. En théorie, puisqu’ils n’ont plus ce forfait à leur charge, il n’y a plus lieu de maintenir l’A.E.S pour des considérations socio-transitoires (à moins d’une aggravation sensible du taux d’invalidité de l’enfant handicapé). Mais, l’A.E.S. supprimée, on se retrouverait aussitôt à la case départ, avec l’existence d’un forfait à la charge des parents, d’où un nouveau cycle : forfait, démarches auprès de la C.D.E.S, attribution d’une A.E.S pour surcroît de dépenses chez l’enfant handicapé, donc octroi d’un statut conférant automatiquement l’exonération du forfait, donc absence de surcroît de dépenses, donc suppression de l’A.E.S, donc restitution du forfait hospitalier, etc.
[*] devenue l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, en application de la loi du 11 février 2005.

♦ Autre histoire authentique, suggérant combien la lourdeur du « système » ne fait que pérenniser une situation difficile. Le directeur d’une PME, désireux d’embaucher un nouvel employé, s’adresse au bureau local de l’ANPE, par lettre recommandée avec accusé de réception. Les jours passent… Pas de réponse de l’agence, ni aucune candidature, malgré la pléthore générale des demandeurs d’emploi… Très étonné, il téléphone alors à l’agence pour s’informer de son silence :
– Pourquoi n’avez-vous pas répondu à ma lettre recommandée ?
– C’est que nous n’avons pas le droit, actuellement, d’ouvrir les lettres recommandées, donc impossible d’y répondre ! Votre courrier se trouve ainsi bloqué, pour l’instant.
– Et pourquoi ça ?
– C’est que notre directeur, malade, se trouve absent et la personne qui assure l’intérim doit recevoir une délégation de signature pour ouvrir les lettres recommandées.
– Bon ! Et alors ?
– Eh bien, l’autorité de tutelle lui a bien adressé cette délégation de signature l’autorisant à retirer le courrier en recommandé, mais cette délégation elle-même a été envoyée par une lettre recommandée… qui se trouve bloquée avec la vôtre et toutes les autres !

Et pas seulement dans l’administration

Des artistes comme M. Escher ou R. Magritte furent inspirés par les paradoxes autoréférentiels. Escher a donné ainsi une œuvre où l’on voit une main se dessinant elle-même : tête-bêche, la main et son image en miroir se dessinent mutuellement, et l’on ne sait plus où est l’image réelle, et où est le reflet spéculaire ! … Le paradoxe autoréférentiel le plus simple réside dans la phrase « ceci n’est pas une phrase ! » et Magritte en a donné une version picturale : l’image d’une pipe, qu’il a intitulée « ceci n’est pas une pipe »… Sans parler de son « couteau sans manche dont on a perdu la lame » !… [Attribué aussi à G.K Chesterton et à Georg Christoph Lichtenberg : « Un couteau sans lame auquel ne manque que le manche »]


Ravages assurés (et l’École de Palo Alto l’a bien montré en psychiatrie) avec des injonctions du type : « désobéis à cet ordre ! » Douglas Hofstadter a particulièrement étudié les paradoxes liés aux autoréférences. En voici trois exemples : « Cette phrase conporte trois ereurs ». Première erreur : le n de "conporte, au lieu du m ; deuxième erreur : il n’y a qu’un r à "ereur" au lieu de deux ; la troisième erreur… c’est l’absence d’une troisième erreur dans la phrase !… Et encore : « Cette phrase vous fait-elle penser à Agatha Christie ? » D’un certain côté, absolument pas, car elle n’a rien à voir avec son œuvre, et Agatha n’est nullement le sujet de nos réflexions présentes. Mais d’un autre côté, nous venons déjà de penser deux fois à la mère d’Hercule Poirot !… Et enfin le superbe : « Si le conditionnel s’utiliserait, cette phrase serait correcte ! » Il vient d’être utilisé, comme l’imagine la phrase et, pourtant, elle n’est pas correcte… parce qu’il ne s’utilise pas ! John Cage, un compositeur, a proclamé : « Je vous le dis, je n’ai rien à vous dire ! » Quant à R. M. Smullyan, philosophe et mathématicien américain contemporain, il a intitulé son ouvrage sur les paradoxes : « Quel est le titre de ce livre ? » Prolongeant la surenchère, nous intitulerons le second article sur les paradoxes : « Cet article n’a pas de titre ! » En attendant, ne rêvez pas trop à l’administration durant votre sommeil… paradoxal !…

Alain Cohen

Références :

  • Martin Gardner : La magie des paradoxes (Éditions Belin, 1985)
  • Paul Watzlawick, John Weakland & Richard Fish : Changements, paradoxes et psychothérapie (Éditions Le Seuil, 1975)
  • Douglas Hofstadter : Le kaléidoscope des autoréférences, Pour la Science n°41 (mars 1981).