L’Abîme horizontal
La Différence, 2008, 124 p.
L’ombre du grand Giono hante les pages de l’Abîme horizontal de François Montmaneix. Certes, bien d’autres passants considérables sont-ils invités dans ce recueil où se télescopent, ainsi que le veut la maturité des poètes, les éblouissements juvéniles et la lucidité, les fraîches colères et les instants d’accord avec le monde. Les compositeurs, Rameau, Schubert, Mahler, Richard Strauss, Mozart, Debussy, Chopin, Guillaume de Machaut, Monteverdi, côtoient les poètes, Valéry, Mallarmé, Michaux, Bonnefoy, Colette Kowalski, Hésiode, Eichendorff, Nerval, Clément Marot, Ronsard, Goethe, Malherbe. On rencontre aussi Galilée, Jérôme Bosch, Jean Villard, Brassens, Raymond Carver, Dürer. La nostalgie des bonheurs intenses affleure dans l’élégance des hommages rendus aux reines du chant, Kiri Te Kanawa, Élisabeth Schwarzkopf.
François Montmaneix vit depuis toujours dans la musique, le chant, les livres. À Lyon, il a poussé son engagement artistique au-delà des mots en dirigeant l’Auditorium Maurice Ravel et en créant deux centres d’art, L’Atrium et le Rectangle. On ne peut donc s’étonner des accents d’inventaire qui ponctuent parfois ce recueil mais cela ne pèse point et cet inventaire-là ne doit rien à Prévert.
Même si François Montmaneix a consenti à lâcher un peu la bride à son écriture, la parole est toujours tenue, voire retenue. Le poète agit ici comme le compositeur qui aurait à diriger sa propre musique. Il a l’œil et l’oreille partout, se méfie des emballements du lyrisme mais refuse la raideur et la solennité en leur appliquant leur classique antidote, l’humour, en touche légère. Mélomane éclairé, François Montmaneix est sans doute de ces poètes qui écrivent dans la nostalgie de la musique, ce qui lui permet de se tenir à distance, sans pour autant s’en exclure totalement, des courants les plus formalistes de la poésie de la fin du vingtième siècle.
L’Abîme horizontal est un recueil qui s’éloigne de ces courants. Le récit revient en force sans céder à la prose. Saisons et paysages, animaux et personnages rentrent dans la ronde du poème mais si cette ronde était une valse, ce serait celle de Ravel, parfois ironique, souvent sombre, inquiétante, tourmentée. L’arbre, figure récurrente dans l’œuvre de François Montmaneix, dispense toujours sa profusion de rêve et de vie, y compris « l’arbre d’octobre âprement fastueux » du poignant « Retour en ville » , mais c’est surtout « à la fourche du hêtre complice » — nous revenons ici à Giono — que le lecteur accédera au sens profond de ces poèmes nés, dirais-je pour paraphraser Jean Tardieu, d’une « poignée de jours en flammes ».