Les politiques actuelles visant à limiter les émissions de CO2 par le biais des marchés des droits à polluer sont un échec, constate Hansen dans une lettre ouverte adressée aux époux Obama. Pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique, il suggère au prochain président d’appliquer un moratoire sur les centrales à charbon, de favoriser le développement des technologies nucléaires de quatrième génération et d’instituer une taxe carbone universelle dont les fonds collectés seraient redistribués en tenant compte de l’empreinte écologique et des revenus de chaque foyer.
Par James Randerson, The Guardian, 1er janvier 2009
Les politiques menées à l’heure actuelle pour lutter contre les changements climatiques sont inefficaces, avertit aujourd’hui l’un des plus grands climatologues, dans un appel adressé à Barack Obama et sa femme Michelle, rappelant l’urgente nécessité de lutter contre le réchauffement de la planète.
Moins de trois semaines avant l’entrée en fonction d’Obama, le professeur James Hansen, qui dirige le Goddard Institute for Space Studies de la NASA, vient de demander au prochain conseiller scientifique de la Maison Blanche, le Professeur John Holdren, de transmettre en main propre son courrier au nouveau président.
Obama s’est prononcé à plusieurs reprises au cours de sa campagne sur la nécessité de lutter contre le changement climatique, et les défenseurs de l’environnement espèrent qu’il tiendra ses promesses et mettra en oeuvre des politiques écologiques.
La lettre co-signée par James Hansen et son épouse Anniek est une requête adressée au couple présidentiel. Elle commence ainsi : « Nous vous écrivons en tant que parents préoccupés par l’état de la terre dont hériteront nos enfants, petits-enfants, et les générations à venir … Jim a déjà conseillé les gouvernements par le biais des canaux habituels. Mais l’urgence impose maintenant de lancer un appel à titre personnel ».
Dans un courrier adressé à M. Holdren, James Hansen explique qu’il a rédigé cette lettre il y a de cela quelques semaines, alors qu’il séjournait à Londres. Sa femme venait d’être victime d’une crise cardiaque ( « Heureusement, nous étions à proximité d’un très bon hôpital, » écrit-il). C’est pendant qu’ils attendaient que les médecins donnent leur feu vert pour un retour aux États-Unis, qu’il a décidé d’écrire sa requête au nouveau couple présidentiel.
James Hansen est l’un des plus éminents partisans de la lutte contre le changement climatique, depuis ses premières auditions par le Congrès dans les années 1980. Son témoignage devant le Sénat est repris dans le film d’Al Gore « Une vérité qui dérange », et il a reçu de nombreuses distinctions pour ses travaux sur la question, dont le « conservation award » décerné par WWF.
M. Hansen écrit qu’il existe une « profonde déconnexion » entre les politiques publiques sur les changements climatiques et l’ampleur du problème tel que la science le décrit. Si il salue les discours sur « une planète en péril » prononcés par Obama durant la campagne électorale, il estime également que l’action du nouveau président sera cruciale. Cette lettre contient une liste de trois mesures visant à lutter contre le réchauffement de la planète.
M. Hansen critique sans ménagement l’actuelle approche internationale consistant à fixer des objectifs de limitation des émissions de CO2 à atteindre grâce aux marché des « droits à polluer, » qui pour lui ne sont pas à la hauteur de la tâche. « Cette approche est inefficace et ne correspond pas à l’ampleur de la menace climatique. Elle pourrait faire perdre une autre décennie, durant laquelle se mettront en place des conséquences désastreuses pour notre planète et l’humanité », écrivent les Hansen.
La lecture de ce courrier sera dérangeante pour les responsables du nouveau marché de commercialisation des droits à polluer qui réunit dix Etats de l’Union Américaine situés sur les rivages de l’Atlantique. La Regional Greenhouse Gas Initiative est la première mesure contraignante adoptée aux USA. Elle vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur de la production d’électricité de 10% d’ici à 2018, par le biais d’un marché d’enchères des droits à polluer.
M. Hansen préconise une lutte sur 3 fronts contre le problème du réchauffement climatique - reprenant les mesures qu’il avait déjà défendues par le passé. Tout d’abord, il préconise un moratoire sur la construction des centrales électriques à charbon, qu’il nomme des « usines de mort », et l’élimination progressive de celles qui n’incluent pas un dispositif de capture et de stockage du carbone.
« Le charbon est responsable de l’émission dans l’atmosphère de plus de dioxyde de carbone que tous les autres combustibles fossiles ensemble, et [le potentiel] des réserves de charbon le rend encore plus important pour le long terme », écrivent les Hansen.
Il propose ensuite la création d’une « taxe sur le carbone redistribuée à 100% » [1]. Il s’agit d’un mécanisme permettant de donner un prix aux émissions de carbone sans pour autant que les fonds collectés aillent vers les coffres du gouvernement. L’idée est de taxer le carbone à la source, puis de redistribuer les recettes à égalité entre les contribuables, de telle façon que les gros émetteurs de carbone soient pénalisés et que ceux qui n’utilisent que peu de carbone soient récompensés.
Enfin, M. Hansen appelle à un effort renouvelé de recherche sur les centrales nucléaires dites de quatrième génération, qui peuvent réutiliser les déchets nucléaires comme combustible. « À notre avis, [la quatrième génération de l’énergie nucléaire] mérite votre soutien, car elle a le potentiel de contribuer à résoudre les problèmes rencontrés jusqu’à présent par l’énergie nucléaire : les déchets nucléaires, la nécessité de mines d’extraction de combustible nucléaire, et le rejet de matières radioactives. »
M. Hansen affirme que accent mis à l’heure actuelle sur les objectifs de réduction des émissions de carbone et sur le marché des droits à polluer permet aux Etats d’esquiver trop aisément leurs engagements. Il cite l’exemple du Japon qui utilise de plus en plus de charbon, le plus polluant des carburants en termes d’émissions de carbone. Pour compenser l’augmentation de ses émissions, le Japon a acheté à la Chine des droits à polluer par le biais des mécanismes mis en place par le protocole de Kyoto. Pourtant, les émissions de la Chine ont continué d’augmenter rapidement. La Chine a maintenant dépassé les États-Unis et est devenue le premier pollueur au monde.
« Personne ne s’attend réellement à ce que les grandes réserves de pétrole et de gaz facilement accessibles soient laissées dans le sol. Les mécanismes des droits à polluer n’auront pas cet effet. Ils permettront seulement de ralentir la vitesse à laquelle le pétrole et le gaz sont utilisés. La seule solution est de mettre fin à l’usage de charbon », écrivent les Hansen.
Sur le web :
Chers Michelle et Barack, lettre ouverte aux époux Obama (pdf).
Dire la vérité à Obama, argumentaire détaillé (pdf).