Voyage en Terre du Milieu

Par Nibelheim

de Tolkien Quand sortit le premier film, je venais de terminer ma première lecture de ce grand cycle ; je l'ai relu peu après. Puis j'ai rangé mon gros livre dans un coin de la bibliothèque en me disant que c'était une belle histoire, et j'ai poursuivi mes découvertes littéraires au fil des années, sans plus m'en soucier. Il n'était pas du tout prévu que je saisisse le livre de Tolkien maintenant, à une période où je croule sous les lectures nouvelles. Mais après avoir revu les films dans la perspective de me distraire, l'envie est soudainement réapparue. Parce que j'ai pris conscience que mon regard porté sur le Seigneur des Anneaux ainsi que les images que j'en conservais avaient été contaminés par les adaptations filmées, et que je n'en avais finalement pas grand souvenir. J'ai donc décidé de prendre le temps de me plonger à nouveau dans l'univers de la Terre du Milieu.
Tout le monde a entendu parler au moins une fois de cette grande fresque mythologique qui a connu un regain d'intérêt en France à l'occasion de son adaptation cinématographique. : je parle du Seigneur des Anneaux
C'est une véritable gageüre que de se lancer dans l'écriture d'un billet à propos de ce livre, et il m'a fallu noter d'abord quelques idées éparses dans mon carnet de brouillon pour réussir à construire mon propos. J'ai voulu au départ traiter chaque tome séparément, mais quand il a fallu parler de La communauté de l'Anneau , je n'ai rien su dire : construit comme un tout, Le Seigneur des Anneaux demandait à être lu et considéré dans son entier. Je précise d'ailleurs que Tolkien l'a toujours travaillé d'un seul tenant : la division en trois volumes ne s'est faite que pour des raisons éditoriales.


Arrêtons-nous d'abord un instant sur les films qui ont motivé cette relecture. Beaucoup d'entre nous ont découvert l'œuvre de Tolkien à l'occasion de la sortie de leur adaptation cinématographique. J'ai remarqué cette fois-ci, sans grande surprise, que l'œuvre écrite dépassait de beaucoup tout ce que j'avais pu visionner. Mais j'irai plus loin : je me suis rendue compte que certains choix cinématographiques allaient jusqu'à changer le sens de ce qui était écrit, et cela en déplaçant des répliques d'un e bouche à une autre et en fusionnant certains personnages qui n'avaient en soi rien à voir. Ce que j'avais pris d'abord pour de petites simplifications m'a alors semblé approcher parfois du contresens pur et simple. Je citerai l'exemple de Sylvebarbe, le vieil Ent que Merry et Pippin rencontrent dans la vieille forêt (Les deux Tours) : celui-ci dans le film est quelque peu menaçant, et refuse longtemps de considérer les deux petits êtres autrement que comme des créatures maléfiques. Dans le livre, Sylvebarbe est l'écoute personnifiée : prenant les Hobbits pour des êtres antipathiques, il les invite à se retourner pour mieux les contempler, répétant " Pas de jugement hâtif, c'est ma devise. " Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, et pas forcément le plus parlant. Reste que j'ai été assez surprise par la déformation opérée par les films, qui m'a semblé bien plus importante qu'il n'y paraissait au premier abord. Mais une comparaison entre œuvre écrite et œuvre filmée n'étant pas mon but, revenons plutôt au livre en lui-même.


Le Seigneur des Anneaux est un livre surprenant et inclassable, constituant une grande fresque épique qui renouvelle nombre de traditions littéraires. Ce qui frappe en premier lieu, c'est la grande cohérence du monde créé par Tolkien : immergé dans la Terre du Milieu, l'on s'imprègne rapidement de ses mythes, de ses chansons, de ses diverses coutumes et de ses peuples. La géographie de ce lieu inconnu a été pen sée et repensée, et les livres sont toujours parsemés de cartes imaginaires ; un univers d'une impressionnante richesse se développe alors sous nos yeux. L'œuvre compte par ailleurs de multiples échos, et des motifs se trouvent répétés et enrichis au fil du texte : ainsi, les occurrences de la figure du saule, qui apparaît à de multiples reprises, que ce soit dans la narration ou dans les chansons. Plus encore, Le Seigneur des Anneaux semble jouer avec d'anciennes traditio ns littéraires, en particulier avec la littérature épique, qu'elle soit antique ou médiévale. Je prendrais l'exemple d'un chapitre du troisième volume, " Le chemin des morts " (Le retour du roi) , où Aragorn et sa troupe empruntent un passage à travers les profondeurs des montagnes pour rallier à eux des guerriers damnés qui n'ont pas trouvé le repos. Ce moment du livre semble en effet un écho intéressant aux nekuia antiques (descentes aux enfers, que l'on peut trouver chez Homère, Ovide ou Virgile, par exemple) : même parcours s'enfonçant dans la montagne, même image des morts errants qui chuchotent des paroles incompréhensibles aux vivants, même cheminement jusqu'au monde des vivants le long d'une longue route où il s'agit de ne pas se retourner, etc. Au passage, un article intéressant sur ce sujet a été oublié ici . D'une autre façon, le récit est émaillé de poèmes et chansons ; certains textes insérés sont même présentés comme des lais, forme poétique ayant cours dans l'Europe médiévale : l'œuvre majeure recèle donc de nombreuses œuvres secondaires (poésies, chansons et histoires rapportées) qui viennent l'enrichir et la diversifier.

" Une partie de l'attrait du Seigneur des anneaux est due, je pense, aux aperçus d'une vaste Histoire qui se trouve à l'arrière-plan : un attrait comme celui que possède une île inviolée que l'on voit de très loin, ou des tours d'une ville lointaine miroitant dans un brouillard éclairé par le soleil. S'y rendre, c'est détruire la magie, à moins que n'apparaissent encore de nouvelles visions inaccessibles. "

Tolkien, Lettre au colonel Worskett


Le choix des héros de cette longue histoire me semble lui aussi particulièrement intéressant, notamment en ce qui concerne les Hobbits. Ceux-ci sont longuement présentés dans un prologue non dénué d'humour, sorte d'essai anthropologique fictif nous présentant ce petit peuple qui nous est inconnu. A ce propos, j'ai été agréablement surprise en découvrant que tous les passages de présentation qui m'avaient paru interminables lors de mes premières lectures ont été lus aujourd'hui avec beaucoup plus de plaisir et de facilité. Pour ce qui est des Hobbits, voilà des personnages qui attirent toute ma sympathie. N'est-ce pas naturel, quand il s'agit d'un peuple sur lequel on lit, dès les premières pages : "Pour ce qui était de rire, de manger et de boire, ils le faisaient bien, souvent et cordialement, car ils aimaient les simples facéties en tous temps et six repas par jour (quand ils pouvaient les avoir)" ? Le Seigneur des Anneaux conte les aventures de quatre de ces petites personnes si promptes à l'amusement, embarquées bien malgré elles dans des aventures qui les dépassent. Il est question de guerres, d'anneaux de pouvoir, de corruption, et de bien d'autres choses. Il est intéressant, dans ce cadre, d'observer le renversement des figures héroïques opéré dans cette histoire : à côté de héros forts et valeureux peut-être plus conventionnels (et non pas moins intéressants, d'ailleurs) on trouve des personnages drôles et plaisants, engagés dans la grande guerre de la Terre du Milieu contre leur volonté. Or au fil du livre, on nous montre précisément que les Hobbits sont bien plus résistants aux coups du sort, à la corruption, aux blessures et maux de tous genres que bien des guerriers. Cela en raison de leur amour de la vie et de leur ingénuité (et non leur bêtise).
Epopée individuelle et collective, Le Seigneur des Anneaux présente une galerie impressionnante de personnages de toutes races et de tous caractères, où la nuance est de mise. Chaque figure positive comporte sa part d'ombre et vice-versa : les personnages qui semblaient caricaturaux dans l'adaptation filmée ne l'étaient qu'en raison de la simplification d'une histoire si difficile à mettre à l'écran. Au sein de ce long récit, de multiples destins se croisent et se mêlent, dans une épopée qui tient à la fois des coutumes païennes et des mythes bibliques. Tout en traitant de la corruption du pouvoir, de la relation à autrui et d'autres grands thèmes omniprésents en littérature tout en permettant l'évasion et le rêve, cette œuvre supporte aisément différents niveaux de lecture et c'est en cela que ce fut pour moi une véritable redécouverte. Lors de mes premières lectures, je n'ai fait attention qu'aux rebondissements et à l'intrigue, particulièrement prenants, tout en trouvant certaines digressions et certains passages descriptifs bien trop longs. Aujourd'hui, en continuant à apprécier les linéaments de l'histoire, j'ai pris plaisir à m'arrêter sur un passage moins rattaché à la problématique de l'Anneau (comme les chapitres de Tom Bombadil dans La communauté de l'Anneau qui présentent un personnage pour le moins étrange, non mentionné dans les films) ou un passage qui me semblait poétique (comme les descriptions de paysages imaginaires, particulièrement importants dans la construction du monde tel que le connaissent les personnages de la trilogie.) Et c e fut alors pour moi un réel plaisir que d'entamer cette relecture qui m'aura permis de redécouvrir un monde d'une richesse incroyable où chaque peuple conserve sa propre culture et son propre héritage qui transparaissent dans son architecture, sa tradition culinaire ou sa littérature.

"Ithilien, le jardin du Gondor, maintenant désolé, conservait encore une beauté de dryade échevelée."


Le Seigneur des Anneaux , Livre II, chapitre 4.



En espérant n'avoir pas été trop abstraite dans cette note déjà bien longue et que je garde dans mes tiroirs depuis un moment déjà ... Pour terminer, je vous encouragerai, si vous n'avez pas jamais pénétré dans cet univers, à découvrir cet univers qui dépasse de loin ce qu'on a bien voulu en montrer.