Derrière ce regard de matou inoffensif et apparemment dénué d’ambition, le ministre du Travail a gravi avec une furieuse rapidité toutes les marches du pouvoir. Secrétaire d’Etat, ministre de la Santé sous le gouvernement Raffarin, et aujourd’hui ministre du Travail, l’ancien assureur a démontré une réelle habileté à engager des réformes avec pragmatisme. Sa nomination au poste de secrétaire général de l’UMP fait aujourd’hui grincer les dents. Bertrand inquiète à droite. Mais celui que l’on donne régulièrement à Matignon semble éprouver plus de difficultés à conquérir une denrée plus indispensable que tous les titres de ministre : l’opinion.
Bertrand : un poids lourd encore méconnu des Français
Malgré sa forte exposition médiatique, Xavier Bertrand souffre d’un manque de notoriété. Il ne dispose pas non plus d’un socle de soutiens structuré au sein de l’opinion publique.
Sa côte d’avenir, qui correspond au pourcentage de Français souhaitant le voir jouer un rôle dans les mois à venir, stagne sous la barre des 30%. En décembre 2008, 24% des Français souhaitaient le voir prendre plus de place en politique selon TNS Sofres. Un résultat identique à celui de juin 2007. Plus globalement, trois ans en tant que ministre n’ont pas permis à Xavier Bertrand de percer auprès de l’opinion. A titre de comparaison, ses collègues au gouvernement, Rama Yade ou Rachida Dati, inconnues du grand public il y a un an et demi, se situent 10 points plus haut que lui, à environ 35% de côte d’avenir.
Un sondage CSA effectué au lendemain de la nomination de Xavier Bertrand à la tête de l’UMP confirme ce relatif attentisme des français à son égard. 36% des Français lui font confiance pour occuper le poste de secrétaire général. Ce résultat cache bien sûr une forte disparité. 71% des électeurs de droite lui font confiance contre 21% de gauche. Mais plus largement, l’attentisme prévaut. 26% des Français ne se prononcent par sur le cas Xavier Bertrand. Une situation qui peut s’expliquer par la méthode Bertrand elle-même : ne jamais brusquer l’opinion publique, au risque de manquer d’éclat.
La méthode Xavier Bertrand : décortiquer l’opinion publique et laisser du temps aux réformes
Deux réformes emblématiques, l’interdiction de fumer dans les lieux publics et la réforme des régimes spéciaux ont démontré la capacité de Xavier Bertrand à manier une opinion publique versatile, et laisser faire le temps. Quitte à ne pas s’imposer comme réformateur incontestable pour les Français.
L’interdiction de fumer dans les lieux publics, mise en place en janvier 2007 - janvier 2008 pour les bars, tabacs et restaurants - a nécessité un travail de fond qui précède largement la politique de Xavier Bertrand. Les campagnes d’intérêt public ainsi que la loi Evin ont permis de convaincre l’opinion publique bien avant la réforme de Xavier Bertrand.
Ainsi en octobre 2005 déjà, 80% des Français se déclaraient favorables à une interdiction de fumer dans les lieux publics, selon un sondage IFOP. 73% d’entre eux se montraient plus spécifiquement favorables à une interdiction de fumer dans les restaurants. En revanche, une proportion plus faible, 59%, se déclarait en faveur d’une interdiction de fumer dans les cafés et bars-tabac. Pour lever ces réserves, Xavier Bertrand a autorisé une dérogation supplémentaire d’un an, afin de faire jouer l’effet temps, et permettre aux plus réticents de s’acclimater à ces mesures contraignantes.
La réforme des régimes spéciaux mise en place alors que Xavier Bertrand était ministre du Travail, obéit à cette même logique : ne pas brusquer et donner du temps aux réformes. Car depuis les grèves 1995 sous le gouvernement Juppé, l’opinion publique a fortement évolué. Presque 10 ans après cet évènement, 59% des Français se déclaraient en faveur d’une réforme des régimes spéciaux, selon un sondage CSA réalisé en 2006. Un an plus tard, en 2007, l’augmentation est encore plus sensible : 68% des Français sont en faveur de la réforme des régimes spéciaux, selon le même institut. Dans ces conditions, et sans nier les efforts de pédagogie de Xavier Bertrand, la réforme semblait bien engagée. Car si les syndicats ont appelé à la grève en novembre 2007, cette fois-ci, les Français n’ont pas suivi. La grève de novembre 2007 a été ainsi soutenue par 21% seulement des Français contre 39% en 2007 selon un sondage CSA pour l’Humanité. En moyenne depuis les grèves de 1995, l’opposition aux grévistes n’a cessé de croitre. Et sans soutien de l’opinion, les grèves deviennent illégitimes et s’essoufflent rapidement.
Sur la route de Matignon ….
Avec ces deux réformes, Xavier Bertrand dispose de deux trophées facilement identifiables par les Français et utiles à exhiber en cas de campagne électorale… Mais, sur la route de Matignon - ou de l’Elysée - il y a d’abord l’Autre, Jean-François Copé, le quadra à qui Bertrand est constamment comparé. Au-delà de l’ambition, tout semble opposer Xavier Bertrand l’assureur, et Jean-François Copé, l’énarque, avocat et actuel président du groupe UMP à l’Assemblée Nationale qui revendique sans sourciller l’Elysée pour 2017.
Pour le moment, aucun des deux n’a encore véritablement percé dans l’opinion, même si le pourcentage de Français souhaitant voir Xavier Bertrand jouer un rôle plus important dans les mois à venir est très légèrement supérieur à celui de Jean-François Copé, selon le baromètre mensuel de TNS Sofres. Un sondage publié en juin 2007 sur les premiers ministrables confirme le léger avantage de Xavier Bertrand. 28% des Français souhaitaient que Nicolas Sarkozy le nomme Premier ministre contre 22% pour Jean-François Copé.
Avantage de taille, Xavier Bertrand semble davantage attirer les classes populaires. Clair et pédagogique dans ses explications, il creuse l’écart avec Jean François Copé auprès des ouvriers (34% souhaitent qu’il devienne premier ministre, contre 21% pour Jean-François Copé) et des sympathisants du FN qui sont 54% à le plébisciter contre 26% pour son challenger.
Les moins de 30 ans sont aussi davantage derrière le ministre du Travail (29%) alors que le député-maire de Meaux souffre d’un sérieux handicap auprès de cette population (11%). Mais aucun des frères ennemis ne peut revendiquer un appui structuré dans l’opinion publique
A cet égard, la tâche qui attend Bertrand à l’UMP peut s’avérer un superbe tremplin pour percer. A condition néanmoins qu’il force sa nature et accepte d’adopter un discours plus clivant, mal nécessaire pour s’imposer en vrai chef de la droite.