Tim Sale : itinéraire d'un enfant doué

Par Neault

Avec Tim Sale - Black and White, les éditions Akileos proposent à la fois un artbook mais aussi un voyage dans l'intimité artistique d'un des grands du monde des comics.

La réputation de Tim Sale n'est plus à faire. Lui et son compère Jeph Loeb ont marqué durablement les univers de Marvel et DC Comics avec des oeuvres comme ou . Dernièrement, Sale a même vu sa popularité dépasser le cadre des seuls fans de comics puisqu'il a travaillé sur la série TV (c'est notamment lui qui signe les peintures de Isaac, l'un des personnages de la série).

Depuis ses premiers pas à l'école (une sorte d'atelier en fait où Romita Sr officiait également en tant que professeur) dans les années 70 jusqu'à nos jours, l'artiste avait largement réalisé de quoi remplir un artbook revenant sur ses travaux les plus connus ou de plus confidentielles illustrations. Pourtant, l'originalité - et une grande partie de l'intérêt - de l'ouvrage ici présent repose sur un entretien, fleuve mais digeste, qui retrace le parcours de Sale. Ce dernier est interrogé par Richards Starkings, lettreur et lui-même auteur.

Le dialogue entre les deux hommes ne manque ni d'intérêt ni d'humour et couvre les grandes étapes de la vie artistique de Sale, voire même de sa vie tout court, les deux étant forcément liées. L'homme parle de ses sources d'inspiration, des aspects techniques de son travail, de ses rencontres... peu à peu, l'on finit par pénétrer dans son univers et comprendre la manière dont il appréhende l'art en général ou certains personnages. Bien entendu, les grandes figures mythiques sont abordées, comme Superman, Batman, Spider-Man, Wolvie ou Conan par exemple. Le point de vue de Sale est bien souvent enthousiasmant, l'auteur privilégiant la charge émotionnelle de ses réalisations plutôt qu'un aspect technique certes valorisant mais manquant parfois d'âme. Et avec ses 272 pages et ses nombreux dessins, ce recueil offre largement à l'artiste de quoi s'exprimer en détails.

Cette édition, mise à jour et augmentée (la parution date de décembre 2008, c'est donc tout frais) comprend également un cahier couleur et un carnet de croquis. On a droit à une préface de Starkings mais aussi à une petite intro de Loeb en personne. Le livre est divisé en chapitres suivant une progression chronologique. Le matériel utilisé pour les illustrer est extrêmement divers, cela va des habituels extraits de comics, évidemment, à des posters en passant par des cartes de voeux, des dessins de commande ou effectués pour des fans, des pin-ups, bref, de quoi avoir un large éventail des domaines abordés par Tim Sale.

On peut même découvrir, en bas de l'intro, des croquis spécifiques dessinés par Sale pour servir d'en-têtes de fax (!!) à chacun des projets qu'il a réalisés avec Loeb. Anecdotique mais sympa.

Cette rétrospective est autant une oeuvre d'art à part entière qu'une clé permettant de mieux comprendre le travail et la volonté d'un artiste talentueux et très attachant. Rien que pour ces quelques pas dans le si précieux domaine réservé de l'auteur, cette lecture est à conseiller à tous. L'on y évoque d'ailleurs parfois des peintres bien connus (et "validés" par les "milieux intellectuels") comme Monet ou Rembrandt. Les comic addicts purs et durs auront également leur dose d'anecdotes et d'incursions dans des séries moins mainstream, comme Grendel ou The Amazon. De plus, quelques encarts viennent parfois renseigner le lecteur sur les artistes que Sale a pu rencontrer ou avec qui il a travaillé. Ces petites digressions, au fort potentiel informatif, conservent d'ailleurs un ton informel qui s'approche plus de la confidence que de la biographie classique et austère.

A la fois passionnant et d'une rare beauté, cet ouvrage est sans doute l'un des incontournables du moment. Il vaut 35 euros mais le lecteur est loin d'être volé : grand format, couverture en dur, papier glacé, textes denses, traduction de qualité, il sera difficile, à moins d'être allergique à Tim Sale, de trouver un quelconque sujet de mécontentement tant un soin évident à été apporté à la réalisation de ce petit bijou.

- [...] Je travaillais encore à l'épicerie mais je n'avais quasiment besoin de rien pour vivre. Je ne conduisais pas. Je ne buvais pas. Je ne fumais pas. Je n'arrivais pas à me trouver une copine.

Extrait de la conversation-interview entre Tim Sale et Richards Starkings.

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