Les sondages « classiques » réalisés sur des échantillons nationaux représentatifs de 800 ou 1000 individus ne permettent pas de mettre en évidence ces différences. En effet, avec à peine plus de deux millions d’habitants, Paris ne représente que 3% de la population française environ, et seuls une trentaine de Parisiens peuvent être interrogés dans ce type d’enquête, ce qui est insuffisant pour servir de base d’analyse. En revanche, le Baromètre Politique Français réalisé en 2006 et 2007 par l’Ifop et le Cevipof, dans le cadre duquel plus de 20 000 personnes ont été interrogées dans la France entière a permis la constitution d’un échantillon de 600 Parisiens.
Un climat d’opinion propre à la capitale
La comparaison des résultats obtenus auprès des deux échantillons ainsi constitués fait ressortir de fortes différences entre ce que pensent les Parisiens et les Français. La proximité politique des personnes interrogées dans le cadre du Baromètre Politique Français met en évidence une surreprésentation des partis politique dits « de gouvernement » chez les Parisiens : Parti Socialiste, UMP, UDF-Mouvement Démocrate et dans une moindre mesure les Verts. A contrario, les sympathisants du Front National et les personnes ne se sentant proches d’aucun parti sont moins nombreuses dans la capitale. Ces décalages peuvent s’expliquer par la particularité de la structure sociologique de la population de Paris, au sein de laquelle les cadres supérieurs et les professions libérales sont largement plus présentes, à l’inverse des retraités, des ouvriers et des employés.
Mais cette répartition ne suffit pas expliquer les écarts observés. En effet, en comparant les jugements des Français et des Parisiens du même âge ou de la même catégorie sociale, il apparaît que les sympathies partisanes des cadres supérieurs sont fortement polarisés sur le PS (31% contre 26% pour l’ensemble des Français) et l’UMP (32% contre 25%), alors que les employés (34% contre 25%) et les ouvriers se disent plus proches du PS (40% contre 25%), au détriment du Front National et de l’absence de préférence politique.
Une opinion parisienne plus « moderne » et plus politisée
En fait les données issues du Baromètre Politique Français montrent une plus grande politisation des Parisiens, qui se positionnent plus facilement sur l’échiquier politique que l’ensemble des Français (18% des Parisiens se disent ni de droite ni de gauche contre 31% des Français), et se revendiquent plus à même de participer à une manifestation (51% contre 43%) et plus confiants dans l’action politique.
Peut-être cause ou peut-être conséquence d’une moindre radicalisation politique, l’écart entre les jugements des Français et des Parisiens sur les thématiques de l’immigration et de la sécurité s’avère important. Pour 39% de ces derniers il y a trop d’immigrés en France (contre 50% de l’ensemble des Français), et pour 18% d’entre eux, on ne se sent en sécurité nulle part (contre 39%). La question du rétablissement de la peine de mort fait également ressortir un important clivage entre les habitants de la capitale (17% y sont favorables) et la population française (35%).
Par ailleurs, les Parisiens se montrent plus favorable à l’ouverture économique et culturelle de notre pays, plus qu’à l’autarcie face au monde qui nous entoure (61% des Parisiens jugent que la France doit plus s’ouvrir sur le monde extérieur contre 41% des Français). Ils se montrent également plus attachés à la notion de liberté qu’à l’égalité (61% d’entre eux préfèrent la liberté à l’égalité). De ces éléments d’analyse émerge une opinion parisienne plus ouverte culturellement, plus moderne socialement et plus libérale économiquement que le reste de la population.
Paris, une grande ville française pas comme les autres
Enfin, dernier enseignement de cette analyse de l’Ifop, les perceptions et les jugements enregistrés chez les habitants de la capitale ne trouvent pas leur source dans un environnement citadin que l’on pourrait opposer à un milieu plus rural. Il n’existe ainsi en opinion ni rat des villes et ni rat des champs. Les décalages enregistrés entre Paris, Lyon et Marseille, les trois principales villes françaises, soulignent la singularité de la situation parisienne, et sur de nombreux thèmes, les Lyonnais et les Marseillais se montrent plus « français » que les Parisiens.
Cette originalité des Parisiens ne se retrouve pas non plus dans un mode de pensée régional dans laquelle tous les habitants d’Ile-de-France se retrouveraient. Passé le boulevard périphérique les opinions changent, les jugements s’inversent et les perceptions évoluent. Ainsi existe une véritable identité parisienne, avec des opinions propres. Pour preuve, une étude publiée par TNS Sofres montre qu’à Paris, on se sent plus parisien (56%) avant d’être français (49%) ou francilien (16%), contrairement aux autres habitants de la région parisienne qui se sentent d’abord français (50%) puis franciliens (41%).
La mise en évidence de ce climat d’opinion si particulier pousse fortement à la réflexion alors que la plupart des décisions politiques viennent de la capitale et que les spécialistes de l’opinion sont parisiens. Paris, capitale de la mode, des tendances et lieu de pouvoir, tire-t-elle l’opinion dans le même sens qu’elle ? Ou est-elle en train de se refermer sur elle-même, en opposition avec le reste de la population française ? De la réponse à cette question dépend certainement la compréhension des leviers de l’opinion… vue de Paris.
Article publié le 30 décembre 2008 sur AgoraVox.