Nouvelle « chaîne », avec cette fois-ci Rubin Sfadj dans le rôle du passeur de relais : il s'agit d'exprimer deux doutes et de formuler trois motifs d'espoir pour le Mouvement démocrate de François Bayrou. Le leader centriste avait retenu mon attention lors de la campagne présidentielle de 2007, au cours de laquelle il avait démontré un souci assez sincère - en apparence du moins - de l'état des finances publiques de la France.
Mais la logique bipolaire de la Ve République, et l'excessif parlementarisme du chef de l'UDF d'alors m'avaient conduit à préférer la mauvaise candidature de Nicolas Sarkozy à la sienne, tout aussi mauvaise, afin de barrer celle, calamiteuse, de Royal.
Je n'ai pas regretté mon vote, lorsque j'ai vu François Bayrou se rapprocher de la même Royal dans ce confondant débat d'entre-deux-tours, et, depuis, se complaire dans une posture poujadiste qui, croit-il, lui permet de critiquer à bon compte le nouveau locataire de l'Élysée. François Bayrou n'a pourtant pas prouvé, aux commandes de son MoDem, qu'il est davantage apte à se hisser à la hauteur de la fonction présidentielle.
Mais comme Nicolas Sarkozy n'y est pas encore parvenu, et que, pour l'instant, son bilan est chiraquien - entendez : nul -, d'une part, et, d'autre part, que le Parti socialiste est au bord de l'implosion, il se pourrait que le Parti orange et son Béarnais aient de substantielles chances dans la perspective des élections de 2012.
Doute n°1
J'ai dit précédemment que le caractère bipolaire du système institutionnel français m'avait en partie conduit à préférer la candidature de Nicolas Sarkozy à celle de François Bayrou. La réforme des institutions de juillet dernier, si elle a renforcé le rôle du Parlement, n'a en revanche rien changé à cette logique bipolaire. Difficile, donc, d'imaginer qu'un parti avec une assise aussi faible en termes d'élus puisse contredire à ce point la nature de nos institutions qu'il dispose d'une majorité.
Doute n°2
Ajoutons que, même dans la perspective de l'émergence d'un puissant pôle centriste à l'Assemblée nationale, à l'image du MRP, modèle de François Bayrou, sous la IVe République, encore faudrait-il que celui-ci soit doté d'une cohérence idéologique suffisante pour résister à l'étau que la gauche et la droite, alliées de circonstance, exerceraient sur lui. Le plus grand nombre de députés dont dispose le Nouveau Centre, parti-croupion de l'UMP dirigé par le très bayrouiste Hervé Morin, est là pour le rappeler. Tant que le MoDem ne se structurera pas sur le plan doctrinal, il ne pourra, même en cas de majorité relative au Palais Bourbon, être apte à former un gouvernement.
Espoir n°1
Il se pourrait cependant que l'éclatement du Parti socialiste, s'il advient, donne à François Bayrou l'opportunité de devenir le co-chef d'une grande coalition de centre-gauche, de type social-démocrate, voire social-libéral, en partageant le pouvoir avec Ségolène Royal et la moitié du Parti socialiste qu'elle aurait attirée avec elle. Cette hypothèse, séduisante, est rendue peu probable par les profondes divergences idéologiques qui existent entre la moitié réformiste du Parti de la Rose et le MoDem, et que seules les sagesses de Ségolène Royal et de François Bayrou pourront surmonter.
Espoir n°2
À l'inverse, si Nicolas Sarkozy continue à marcher dans les pas de son prédécesseur, c'est-à-dire à ne rien réformer, il est possible que François Bayrou émerge comme une alternative crédible à droite, d'autant que la chouannerie de Philippe de Villiers, la dyslexie de Nicolas Dupont-Aignan et le double boulet que constituent le CPE et l'« Affaire Clearstream » pour Dominique de Villepin font de Nicolas Sarkozy le seul candidat potentiel sérieux à droite pour 2012. Mais il faudrait pour cela que François Bayrou devance Nicolas Sarkozy au premier tour de l'élection présidentielle, et que, comme Giscard avec Chirac et l'UDR en 1974, il bénéficie du soutien de l'UMP ensuite.
Espoir n°3
Ce troisième espoir résulte de la conjonction des deux : c'est dans le cas où le Parti socialiste éclaterait et que le bilan de Nicolas Sarkozy resterait ce qu'il est aujourd'hui que les chances de François Bayrou deviendraient réelles. Il pourrait disposer au Parlement d'une majorité de coalition. Qu'en ferait-il ? Hormis sur la question de la dette publique, où il a fait preuve, contrairement à Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, d'une grande cohérence, François Bayrou n'a pas montré qu'il avait pris la mesure des défis que la France du début du XXIe siècle doit relever. Or, seul un programme visant à les surmonter peut justifier la politique du consensus qu'il appelle de ses vœux. S'il parvient à être élu à la présidence de la République, et que le gouvernement d'union nationale qu'il nomme est soutenu par une majorité à l'Assemblée, il ne pourra gouverner qu'en réformant, ce qui serait étonnant dans le cas d'une coalition hétéroclite. S'il échoue à réformer, sa coalition éclatera, et il deviendra un nouveau président de cohabitation. Avec une crise sérieuse à la clé.
À mon tour de « taguer » le Chafouin, Koz, Érick Roux de Bézieux, Romain Blachier et Sébastien Lasserre, s'ils veulent bien se prêter à ce jeu...
« Chaîne de l'impudeur »
Le même Rubin Sfadj m'a également invité à faire état de mes lacunes en cinéma, littérature, géographie, mathématiques et cuisine. Je botte violemment en touche en disant que si mes connaissances sont lacunaires, donc, mais aussi parcellaires et superficielles dans les trois premiers domaines, elles sont franchement déficientes dans les deux derniers. J'espère que cette réponse satisfera pleinement l'ami Rubin.
Roman Bernard
Criticus est membre du Réseau LHC.