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Le dit de Dina

Par Chatperlipopette

De Le dit de Dina Herbjorg Wassmo je n'avais lu que "La véranda aveugle", "Le livre de Dina" me donnait l'occasion d'aller plus avant dans l'approche de son univers. Yueyin initiatrice de cette lecture ne peut qu'être satisfaite de m'avoir fait plonger dans une trilogie aux accents épiques et au rythme d'une intense poésie.
Norvège, XIXè siècle, bords de mer, le Grand Nord n'est pas si éloigné que cela, Bergen est à une épique traversée de Reinsnes. Dina, jeune femme fougueuse, imprévisible, sauvageonne beauté, regarde les restes d'un traîneau tombé dans la rivière impétueuse: Jacob, son mari gît désarticulé. L'étalon noir, Lucifer, effrayé, s'est cabré et presqu'en fuite. Dina est muette, glacée: est-elle coupable ou n'est-elle qu'une victime?
Le récit de sa vie et son destin exceptionnel commence à rebours: elle est encore une enfant, la fille du commissaire, personnage important de la région, et joue dans la cour. Pas très loin de là, sa mère et les servantes s'occupent de la lessive; une grande lessiveuse remplie d'eau bouillonnante attend sa nourriture de tissus à laver. Un moment d'inattention, une envie de facétie vont sceller le destin de la petite Dina: en jouant avec le loquet de la lessiveuse, elle provoque un drame qui la suivra toute sa vie; sa mère perd la vie dans d'atroces souffrances en voulant sauver sa fille et en recevant sur elle l'eau bouillante de la lessive! Le père, éperdu de chagrin ne supporte plus la présence de sa fille qui ne fait que raviver sa peine. Aussi, Dina va-t-elle grandir malgré elle, malgré les adultes, dans la solitude et aux côtés des filles et garçons de ferme. Pourtant, Dina n'est pas seule: Hjertrud, sa mère, est à ses côtés, elle lui apprend à nager, elle la suit jour et nuit, fantôme au visage rayonnant et apaisé. Une étrange symbiose de construit entre Dina et l'esprit de sa mère, entre Dina et ses disparus.
Dina est une sauvageonne, papillon indiscipliné, poulain rétif et pourtant se laissant bercer par la musique du violoncelle et le chant des chiffres. Jusque dans l'amour, elle est d'une brusquerie mordante et griffante: y aura-t-il un jour un homme pour dompter cet être épris de liberté? Jacob y est presque parvenu, Mère Karen, belle-mère, figure maternelle, femme d'une grande culture et d'une immense tolérance, lui a donné une place inébranlable de maîtresse du domaine en l'acceptant avec ses qualités et ses défauts.... Léo Zjukovskij sera peut-être l'homme qui lui portera l'estocade ultime.
Dina est une femme qui ne ressemble à aucune autre: rien ne lui fait peur, rien de l'empêche de jouir de la vie ou de l'instant présent, aucune bienséance ne peut représenter un obstacle et c'est ce qui la rend si troublante et insondable. Dina est à l'image de cette côte norvégienne battue par les vents et les froids polaires, réchauffée par le bref et intense été: une terre qui ne courbe pas l'échine et qui sans cesse renaît plus forte. Dina est libre à faire peur aux plus aguerris et lit la Bible comme personne (sauf le Diable?) ne l'a fait et toujours y trouve ce dont elle a besoin: sa spiritualité est un défi permanent aux traditions, sa recherche de l'amour frôle l'absolu, sa quête de soi une hallucinante interrogation.
La musique du violoncelle, grave mélopée, scande les émotions de Dina, anime les évènements, grands ou insignifiants, de Reisnes, âme de la maîtresse du domaine. Sur ses notes, Oline règne dans la cuisine, Benjamin (le fils de Dina et Jacob) grandit et apprend la frustration, Stine, nounou lapone aux gestes tendres et précis, évolue silencieuse et fière, Tomas, l'amant occasionnel, se morfond de désir inassouvi, tandis que Niels fait disparaître des chiffres, c'est à dire de l'argent, et Léo va et vient au gré des escales des bateaux.
Le lecteur ne reste pas indifférent au fabuleux personnage de Dina: qu'elle agace ou qu'elle fascine, elle est émouvante par son immense douleur, celle de la perte de sa mère, celle d'une faute inexpiable, celle du désespoir de ne pas être justement aimée. Sa carapace n'est qu'un leurre: Dina est une femme d'une infinie sensibilité lorsqu'on lit ses monologues en italique "Je suis Dina...." , miroir dévoilant la face cachée d'une femme à l'apparence échevelée qui cependant perçoit les pensées intimes d'autrui. Ces strophes en italique, oui strophes et non passages car c'est là que réside la puissance poétique du personnage, sont les chants de l'épopée de Dina, digne des plus belles sagas nordiques!

Au final, il n'est pas question de juger Dina ni de la cataloguer ni de rire de sa langue frustre, langue de celle qui refusa l'éducation traditionnelle d'une jeune fille de bonne famille, langue qui s'efface dans ses monologues....on la comprend, on ne peut la détester, seulement ensuite le choix intime du lecteur peut opérer.


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