Qui lit encore Remy de Gourmont ? Un très intéressant écrivain pourtant. Né en 1858, mort en 1915. Un ami de Villiers de l'Isle-Adam,
de Huysmans, de Mallarmé. Né comte. Productif pendant la période
symboliste dont il est un des meilleures représentants. Un des maîtres
de Blaise Cendrars, qu'il a influencé fortement.
Son roman Sixtine
lui a été inspiré par sa passion pour Berthe de Courrières. Une femme
passionnante. Elle était de proportions monumentales, chaussait du 42
et a suivi une carrière rare. Née à Lille (bonjour Lille !), montée
conquérir Paris, elle est devenue la maîtresse du général Boulanger,
puis celle du sculpteur Auguste Clésinger (le gendre de Georges Sand)
qui avait 40 ans de plus qu'elle. Il en a fait son modèle et sa
légataire universelle, ce qui lui a permis, à 30 ans, d'hériter de pas
mal d'argent. Une cocotte qui a réussi, quoi !
Mais
ce n'est pas terminé. Elle a hébergé ensuite Remy de Gourmont, qui l'a
présentée à Huysmans. Lequel l'a utilisée comme modèle pour un de ses
personnages de Là-bas.
Berthe de Courrières était attirée par l'occultisme et pas mal déséquilibrée semble-t-il. Avide de messes noires. « Elle
avait une passion morbide pour les ecclésiastiques, qu'elle s'efforçait
de séduire par tous les moyens », nous dit Wikipédia. Ou encore : « Le
8 septembre 1890, la police l'avait retrouvée à Bruges, presque nue, à
proximité de la maison du chanoine Louis Van Haecke,
recteur de la chapelle du Saint-Sang et exorciste bien connu. Elle
était en outre en relation avec l'ex-abbé Joseph-Antoine Boullan,
interdit comme hérétique. » Elle a été internée deux fois. Un
personnage de roman. Qui racontera sa biographie ?
Elle a donc inspiré Sixtine, sous-titré Roman de la vie cérébrale. De Gourmont est de ceux qui s'opposent vivement au naturalisme. Sixtine est manifestement influencé par A Rebours de son ami Huysmans. Le personnage principal, d'Entragues, est un écrivain dandy amoureux de Sixtine.
L'essentiel est la littérature et rien de ce qui n'en est pas n'a de
l'importance. D'Entragues analyse, théorise, comprend et n'agit pas.
Sixtine sera donc enlevée par un dramaturge russe qui veut, ô horreur,
« faire du théâtre une école de pitié ». Comble du désastre, ils vont à
Nice !
Et
d'Entragues reste tout seul avec ses introspections, ses manuscrits et
son roman. Car une des originalités du texte est que le personnage
rédige un roman parallèle, en miroir, influencé par les
caractéristiques de sa vie.
Tout ça ne semble pas très folichon ? Si si !
Remy de Gourmont a une langue (un peu surnourrie, mais c'est d'époque), de l'ironie, un brin de perversité, le sens de l'érotisme. Sixtine
est de plus une plongée dans une époque oubliée. Toute une ambiance.
Celle du monde des lettres, notamment, dont il y a une description
réussie. Mieux que chez Balzac, par exemple. Quand
celui-ci annonce que ses plumitifs produisent un feu d'artifice
d'esprit, il a souvent le tort de les citer, et on se trouve dans des
platitudes d'étudiants qui semblent à leur première cuite. Les hommes
de lettres de Gourmont sont vraiment spirituels.
Un livre diversement apprécié quand même. Ecoutons Jules Renard le résumer dans son journal :
« Ça finit, Sixtine, par la mort d'un parapluie... »