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Ces poilus ont été pris en photo devant l'église de Bordères. Il y a mon grand-père : c'est celui qui est costaud et paraît plus grand que tout le monde, sur le côté gauche, Elie il s'appelait. Il était resté à l'arrière parce qu'il était malin et borgne. Et il y a le grand-père Bayrou, il fait le fier, au garde à vous.
Faut qu'on s'entende. C'est Ba-ï-rou. Ou mieux encore Ba-ï-lou, en roulant le r. Tout sauf "Bé-rou". Je vous ai prévenus.
Quand j'étais gosse, chez ma grand-mère, on balançait des pommes pourries sur le toit en tôle ondulé de l'oncle Bayrou. Il y a une certaine fierté qu'éprouvait mon père sans doute pour le grand homme originaire du même patelin. On se moquait de lui. Bayrou n'a jamais été maire de Bordères. On y préfèrait des hommes de gauche.
Professeur au collège de Nay, il entrait et plongeait dans son journal. Faut qu'on s'entende, prononcez Na-ï. Et pas Nez. Vous êtes doublement prévenus. Je suis pas là pour dire du mal. Il y a eu de grands hommes dans la mouvance de la droite catholique. François Mauriac, tiens qui dénonçait les tortures en Algérie dans son Bloc-notes. Robert Schuman parce qu'il a lancé la CECA, ancêtre de la CEE. C'était quand même mieux que de voter les pleins-pouvoirs à Pétain, ce qu'il a fait aussi. Arrêté par la Gestapo, il s'évade à 56 ans. Mais ce n'était pas Bidault qui a compté dans la Résistance : il a présidé le CNR. Contrairement à Bidault qui sombrera dans la militance pro-Algérie française, Robert Schuman s'oppose à la déposition de Mohamed V et du coup perd son maroquin.
Je ne vais pas remonter à Marc Sangnier ou Albert de Mun. Le Parti démocrate populaire fondé en 1924, première émanation du catholicisme social, est mort avec le vote des pleins-pouvoirs à Pétain en 1940. Le MRP (Mouvement républicain populaire) participe au gouvernement provisoire dès la Libération et est un acteur du Tripartisme qui suit.
En 1965, un beau candidat aux dents blanches aide à mettre de Gaulle en ballottage, c'est Jean Lecanuet. Il fait 15,6 % avant de laisser de Gaulle et Mitterrand s'empoigner au second tour. Il appartient à l'Opus Dei, soutient Poher comme candidat à la présidence de la République. Toutç a pour dire à ceux qui n'ont pas connu cette époque, que c'est un beau réac même si l'habillage est clinquant. Il fonde le Centre démocrate, préside l'UDF à sa fondation en 78. Ministre de la Justice deux ans de Chirac. Giscard est président, c'est l'âge d'or du centrisme dont rêve François Bayrou.
Et notre Gascon, alors ? Il joue beaucoup sur cet image de l'élu enraciné mais elle ne vaut pas tripette. Après la cinglante défaite aux dernières municipales, les Palois ne l'ont guère vu. Il avait prévenu qu'il ne siégerait pas au conseil, promesse tenue. Depuis longtemps, le petit François est devenu le petit parisien. Et le Modem ? Une chaîne circule sur le net : il s'agit d'exprimer deux doutes et trois espoirs concernant ce mouvement politique.
Mon grand-père était très discret et pourtant c'est bien lui qui a payé pour acheter une statue de la Vierge de l'église de Bordères. Je doute qu'elle veille sur les destinées du Modem. Je ne perds pas espoir que ceux qui entendent parler de cette apparition se renseignent sur le phénomène. Ils comprendront aussi sûrement que le destin d'une pomme pourrie sur un toit en tôle est de s'écraser avec fracas que le Modem est un parti de droite dont le destin est de périodiquement s'éteindre puis de renaître en favorisant ponctuellement l'élection d'un président qui se fiche cordialement du catholicisme social même laïcisé. Mon premier espoir est qu'ils voient que le vers est dans le fruit ; mon deuxième espoir, qu'ils s'aperçoivent que le fruit est pourri ; mon troisième espoir est qu'il retrouvent leur âme d'enfant pour que leur coeur se remplisse de joie lorsque l'écho tonitruant du fruit écrasé parcourt la campagne. photo : fondation mtislav pour la foi