En ce moment -je ne sais pas si cela est du à la saison estivale ou quoi- mais je continue dans mon exploration (passionnante) de la littérature italienne. Après la sicilienne Melissa P. et ses "100 coups de brosse avant d'aller dormir", les critiques exaltées glânées ci et là concernant "Mal de pierres" de l'auteure sarde Milena Agus m'ont poussée à la lecture.
Ce petit livre est absolument fabuleux! Plusieurs histoires d'amour se croisent, toutes très émouvantes. Aucune d'elles ne se vit dans la facilité sur cette terre gorgée de soleil où, paradoxalement, les rapports entre les Hommes sont si froids.
Au centre, l'héroïne : jeune Sarde étrange "aux longs cheveux noirs et aux yeux immenses". Toujours en décalage, toujours à contretemps, toujours à côté de sa propre vie... A l'arrière-plan, les personnages secondaires, peints avec une touche d'une extraordinaire finesse : le mari, épousé par raison pendant la Seconde Guerre, sensuel taciturne à jamais mal connu ; le Rescapé, brève rencontre sur le Continent, à l'empreinte indélébile ; le fils, inespéré, et futur pianiste ; enfin, la petite-fille, narratrice de cette histoire, la seule qui permettra à l'héroïne de se révéler dans sa vérité. Mais sait-on jamais tout de quelqu'un, aussi proche soit-il... Milena Agus dit de sa famille qu'ils sont "sardes depuis le paléolithique". Et c'est en Sardaigne que l'auteur de "Mal de pierres" a résolument choisi de vivre, d'enseigner et de situer son récit.
Ce roman se veut autobiographique, mais à quel degré? On ne le saura jamais, ce qui rajoute une once de mystère, à l'image des habitants de cette petite île coincée entre la Corse et la Sicile.
Au fait, pourquoi ce titre "Mal de pierres"? Tout simplement parce que le personnage principale souffre de calculs, ce qui a une incidence sur le déroulement de sa vie...
Vous serez surpris(e)s par la fin mais, chut!!, j'en ai déjà trop dit... L'omerta doit continuer à régner!
Extrait du livre :
Le dimanche, quand les autres filles allaient à la messe ou se promenaient sur la grand-route au bras de leurs fiancés, grand-mère relevait en chignon ses cheveux, toujours noirs et abondants quand j'étais petite et elle déjà vieille, alors imaginez dans sa jeunesse, et elle se rendait à l'église demander à Dieu pourquoi, pourquoi il poussait l'injustice jusqu'à lui refuser de connaître l'amour, qui est la chose la plus belle, la seule qui vaille la peine qu'on vive une vie où on est debout à quatre heures pour s'occuper de la maison, puis on travaille aux champs, puis on va à un cours de broderie suprêmement ennuyeux, puis on rapporte l'eau potable de la fontaine, la cruche sur la tête; sans compter qu'une nuit sur dix, il faut rester debout pour faire le pain, et aussi tirer l'eau du puits et nourrir les poules. Alors, si Dieu ne voulait pas lui révéler l'amour, Il n'avait qu'à la faire mourir d'une façon ou d'une autre. En confession, le prêtre disait que ces pensées constituaient un grave péché et que le monde offrait bien d'autres choses, mais pour grand-mère, elles étaient sans intérêt.
Un jour, mon arrière-grand-mère attendit sa fille avec le tuyau pour arroser la cour et la frappa si fort qu'elle en eut des blessures jusque sur la tête et une fièvre de cheval. Mon aïeule avait appris, par des rumeurs qui couraient le village, que si les prétendants de grand-mère se défilaient, c'était parce qu'elle leur écrivait des poèmes enflammés qui contenaient même des allusions cochonnes et que sa fille salissait non seulement son honneur, mais celui de toute la famille. Elle la frappait à tour de bras en vociférant : «Dimonia ! dimonia !» et elle maudissait le jour où ils l'avaient envoyée à l'école apprendre à écrire.
"Mal de pierres" de Milena Agus - Ed. Liana Levi - 13 euros.
Prochaine lecture : "Un miracle en équilibre" de Lucia Etxeberria