Le lecteur, à sa suite, part donc à bord de sa vieille guimbarde dont elle provoque les pannes pour que son vieil ami Marcel, qui se languit dans sa maison de retraite, puisse venir retrouver l'atmosphère d'antan. D'ailleurs, pourquoi Marcel est-il toujours ravi de venir réparer les bidouilles de Mélie? Pourquoi semble-t-il toujours cacher ses regards tendres et timides à la fois?
Dans le sillage de Mélie, une galerie de personnages plus attachants les uns que les autres colorent le récit d'un été à la campagne, l'histoire de tranches de vies oscillant entre émotions et rires. On y rencontre un parrain, musicien aux côtés immatures émouvants, pas comme les autres qui adopte comme filleuls les enfants de ses aventures féminines, des grands-parents, ceux d' Antoine, caricatures d'une vieillesse que l'on fuit, sclérosante et sans espoir, attendant, prostrée, la fin et la délivrance, les errances sentimentales de Fanette, fille de Mélie et mère de Clara, qui finira par lui trouver un beau-père des plus inattendus, un médecin traitant un peu encombrant avec ses angoisses et son insupportable hypocondrie que l'on ne peut pas ne pas aimer, un père charchant l'oubli de la solitude affective dans le travail ou encore un aide-soignant aux accents sud-américains enchanteurs.
Le rythme est digne d'une comédie pétillante où les portes claquent sans arrêt marquant les rebondissements incessants. C'est la vie, celle de tous les jours, celle que l'on croise au quotidien, réunie par les personnages hauts en couleurs de Barbara Constantine. Le bonheur est tangible dans l'écriture virevoltante de l'auteur, un bonheur qui donne envie de croquer la vie sans se préoccuper des nuages un peu gris du décor: une mobylette d'âge canonique, une voiture poussive, un jardin regorgeant de souvenirs de tartes, de plats mijotés avec amour et tendresse, de sueurs estivales, d'arrosages espiègles, de petites bêtes et d'étoiles filantes, une cabane dans les arbres, les chemins oubliés parcourus à bicyclette (et l'on chantonne gaiement la chanson de Montand), un chaton trouvé dans un arbre ou la roulotte des rêves de vagabondages romantiques de ceux qui souhaitent la vie de Bohême ("L'amour est enfant de Bohême qui n'a jamais, jamais connu de loi..." ).
Comment résister à la tendresse infinie d'un amour révélé au crépuscule d'une vie, celui qui fait encore battre le coeur d'une jeunesse qui ne s'envole jamais, mais reste tapie jusqu'à ce qu'on lui laisse la liberté de ressurgir et d'illuminer le temps encore alloué! L'amour, tendresse immense, n'a pas d'âge et cela ravigore de l'entendre, de le lire et le relire: les rides ne sont pas de sillons stériles mais de subtiles vallées où murmurent, encore éblouies par tant de prodigalité, les sources timides que la mémoire fait à nouveau chanter...du coup, la peur de vieillir s'estompe et les barrières inivisibles des tabous de la bienséance éclatent dans un tonnerre d'émotions silencieuses (aaahhh les larmes de Marcel sont un miel rayonnant de bonheur enfin arrivé!).
Que dire encore de la complicité entre la grand-mère et sa petite-fille? Que Mélie souhaite offrir à Clara des souvenirs inaltérables qui l'accompagneront tout au long de sa vie, ces souvenirs de rires, de confidences, de moments privilégiés, de cueillettes au jardin, de confitures de prunes, de voyage imprévu, bref tous les petits riens qui remplissent l'âme et le coeur.
"A Mélie sans mélo" est un essai transformé par Barbara Constantine après "Allumer le chat": on y retrouve avec délice la verve de l'auteure dans laquelle la tendresse apparaît derrière chaque phrase. Barbara Constantine a le don de dresser des portraits d'une drôlerie incroyable dotés d'une intense sensibilité. La vie est une éternelle tendre comédie que traversent heureuses surprises et drames. Notre société moderne déroule ce qu'elle a de plus humain et de plus sensible le temps d'une histoire tendre, triste et drôle à la fois. Une belle lecture qui éloigne la morosité car on se sent si bien auprès de Mélie et de son petit coin de paradis....à bicyclette!