"J'avais envie de raconter les souvenirs d'une petite vieille rondouillarde." Agnès, prénom qu'elle s'est choisie, marche pieds nus dans le sable. Tout commence sur les rivages de la mer du Nord, avec une mise en perspective par la magie de miroirs en tous genres. Le début de ses souvenirs est bien à son image, à l'image de son cinéma, toujours un peu en marge, toujours collé à son époque mais dans un espace parallèle, un espace de fantaisie poétique. Je me demandais où elle voulait en venir avec tous ces miroirs, bouts de glaces, fragments de reflets transportés, disposés sous les indications de la voix dynamique qui sait ce qu'elle veut, qui, elle, voit déjà. Et puis la scène prend forme, Agnès Varda filme les premières plages de sa vie, celles de Belgique. Emprisonnées et répercutées, les dunes poussées par le vent. Décuplée et agrandie, la mer qui s'étire bruyamment sur un sable infini. Démultipliée plusieurs fois la plage des châteaux de sable de son enfance, en maillot de bain rayé ou à bretelles. Toute la magie de son cinéma pourrait se résumer dans cette séquence.
Car c'est bien le propre d'Agnès Varda d'encadrer, de framer, de délimiter, de portraiturer, de raconter en décrivant, en écoutant, en observant plus qu'en écrivant ou en inventant. Elle s'encadre souvent dans son film-autoportrait, sa cour était pleine des vieux cadres qu'un menuisier y avait abandonnés lorsqu'elle s'y est installée. Elle en a transformé en miroir, elle en a gardé.
Il y a aussi, le ventre de la baleine dans lequel elle se sent si bien et si à l'abri, comme Jonas, mais aussi la cour de sa maisonnette parisienne, premier véritable QG de travail qu'elle partagera avec Jacques Demy, où elle concevra la plupart de ses films et où elle élèvera ses enfants. Jusqu'à cette danse des 80 balais, patiemment et minutieusement comptés, pour être sûre qu'il y en a bien 80, comme autant de ses printemps.
Il y a aussi les roses et les bégonias qu'elle sème pour les gens qu'elle pleure : Jean Vilar, Maria Casarès, Gérard Philipe, Philippe Noiret, Sylvie Monfort... Et surtout Jacques Demy. Il n'y a pas de roses et de bégonias qu'elle ne sème pour Jacques Demy, il n'y a pas de mort plus pleuré et plus chéri.
Il y a aussi Noirmoutier, l'île de Jacques Demy, les cabanons sur la plage et leur vieux moulin. Nourmoutier dont elle filme les veuves pour L'île et elle. Elle réalise un film douloureux comme un écho à sa propre douleur.
Il y a aussi la Chine et puis Cuba d'où elle rapporte 4 000 photos, car Agnès Varda était d'abord photographe.
Ce qui suinte à grosses gouttes de cette plage de cinéma et de plaisir partagé avec une petite vieille rondouillarde, c'est son amour des gens, sa curiosité inextinguible de l'autre, sa passion pour les humains, les lieux, les sensations. Une grande rasade de générosité
"Si on ouvrait les gens, on trouverait es paysages. Moi, si on m'ouvrait, on trouverait des plages." Et si on vous ouvrait vous, on trouverait quoi ?
Les Plages d'Agnès, Agnès Varda.
Sortie en salles le 17 décembre 2008.Mes Petites Fables