Le merle à la corse

Publié le 09 août 2007 par Argoul

Do you like blackbird? I mean not those in the garden for your eyes, but those dressed on a plate, cooked in Corsican manner? I learned, years ago, from a Corsican grandmother, how to cook a blackbird. In the next times where ecologists could be right, we have to know how to prepare and eat everything. So, take two blackbirds for each person, pluck them but do not gut them. Put the birds in a casserole with some oil and cook it slowly for a while. Then put two cloves of garlic with peel and wait for half an hour. Your blackbirds are now ready. Bon appétit !

Il fut un temps où j’avais une compagne corse. Le particularisme de cette île n’est plus à démontrer, en témoignent quelques anecdotes, incongrues pour tout non corse. Par exemple, il suffit que vous preniez de l’essence à une pompe d’Ajaccio pour qu’aussitôt le jeune homme qui dessert le carburant, dragueur comme on l’est dans le sud, fasse la remarque : « ah, vous devez être corse, vous ! » Même si ma compagne vivait à Paris depuis près de vingt ans, elle n’en fut que flattée. Et débuta alors une conversation interminable et pour moi surréaliste : « vous êtes de quel village ? – Ah, je connais très bien : la cousine de la voisine de ma belle sœur a un oncle qui habite tout à côté. » Et ainsi de suite…

En bref, les quelques 250 000 Corses vivant en Corse sont cousins avec tout ce que l’île peut compter d’autres Corses, résidents, émigrés ou revenus au pays. Sauf les luttes familiales qui remontent à la nuit des temps et qui impliquent les clans. Mais, là, motus ! Il y avait cependant quelque avantage : vouliez-vous aller au restaurant, il suffisait de se recommander d’Untel, de tel village, ou du pompiste de la station Machin pour se voir nouer conversation et – généalogie une fois de plus redéroulée – une excellente table et les attentions du jeune serveur. On ne qualifie ces comportement de « mafieux » que lorsqu’ils sortent du cadre légal. En fait la société française en son entier les pratique allègrement. Tout énarque tutoie un inconnu à la première rencontre – du moment qu’il est énarque – et les autres « grandes » écoles ne sont pas en reste sur le favoritisme. L’« égalité républicaine » n’est qu’une formule de théâtre destinée aux meetings des politocards. Au fond, j’aime bien les Corses, ils sont moins hypocrites que les déclarés « socialistes » (ô combien moralisateurs par ailleurs !) qui prennent prétexte de la « neutralité » démocratique quand ils ne « veulent » tout simplement pas.

Mais tel n’est pas mon propos. En regardant, dans le jardin, évoluer les merles, je me remémore une recette de cuisine aussi incongrue que corse : le merle à l’ail. Justement, l’été les a gavé de baies et autres prunes et, ainsi farcis, ils sont bien gras sur la pelouse. Les chats les guettent, mais sans grande conviction : il fait trop chaud pour s’élancer et la faim ne tenaille pas, les boites s’ouvrent toutes seules chaque matin et le poisson arrive dans la gamelle chaque soir – alors, pourquoi se fatiguer ? Je précise que les chats ne sont point corses mais bâtards de gouttière ou ascendance ragdoll.

Donc, le merle à l’ail. La recette me fut énoncée par la fameuse grand mère corse de ma compagne corse. Grand mère qui n’était jamais sortie de l’île et qui cultivait les traditions aussi méticuleusement que son potager. Grand mère attachante, touchante, toujours en noir, comme si le deuil se devait d’être porté depuis l’antiquité pour toutes les tragédies survenues dans la lignée. Le merle justement, en plumage de deuil permanent, ne pouvait qu’attirer l’attention. Tout ce qui se mange étant bénédiction, pourquoi ne pas le cuisiner ?

Par personne, il faut deux merles, ces bêtes-là sont petites. Prévoyez deux gousses d’ail non épluchées. Plumez, flambez pour éradiquer les racines, mais ne videz point les merles : farcis de baies ils n’en sont que plus délicieux. Et puis, vous n’allez quand même pas les manger huit jours après la chasse ? Laissez donc les merles frais dans leur intégrité, fors les plumes. Oignez de bonne huile d’olive un poêlon. Mettez les merles dedans, à froid. Allumez le feu et laissez dorer doucement une dizaine de minutes. Ajoutez alors l’ail avec sa peau, il confira lentement, diffusant ses parfums sans brûler. Assaisonnez de sel et poivre. Si vous connaissez la dernière baie ou le dernier fruit dont s’est gavé le merle, n’hésitez pas à en ajouter à la sauce, ce n’en sera que meilleur !

Laissez cuire une demi-heure à découvert, toujours à feu doux pour ne rien brusquer. Le merle a chair délicate, bien plus que poulet ou dinde ! Ne laissez jamais le fond de la cocotte à sec et rajoutez de l’eau par cuillérée dès que vous le sentez. La chair ne doit pas se dessécher. La demi-heure écoulée, les merles sont prêts à manger. Régalez-vous en !

J’avoue n’avoir goûté qu’une fois de ce met, si étrange aux citadins qui ne les trouvent point au supermarché ni chez le volailler : la chair, trop délicate, doit être impérativement consommée fraîche. Mais, si l’on doit croire les prévisions d’Apocalypse de nos écolos mystiques, il serait temps de nous intéresser à tout ce qui se mange et reste à notre portée…

Le merle se cuisine de diverses façons selon la grand-mère : au riz, aux lardons-champignons-olives vertes, en salmis, en terrine. Toutes les recettes de perdrix conviennent au merle.

Si le chat vous en rapporte d’aventure un, cuisinez-le. Et bon appétit !