La compagnie américaine Yahoo !, qui a commencé en 2002 à livrer aux autorités chinoises des informations servant à faire condamner plusieurs cyberdissidents chinois, savait parfaitement ce qu’elle faisait. C’est ce qui ressort de deux documents mis en ligne la semaine dernière par l’organisme américain de défense des droits de l’homme Dui Hua (qui signifie «dialogue»). Ces documents, «authentiques» selon Dui Hua, sont les requêtes officielles de la police chinoise reçues par Yahoo !.
La première concerne le dissident Shi Tao, condamné en 2005 à dix ans de prison pour «divulgation de secrets d’Etat». Dans sa requête officielle, adressée au bureau de Yahoo ! à Pékin, la police évoque «un cas suspect de transfert illégal de secrets d’Etat à des entités étrangères». Yahoo ! aurait communiqué par la suite les adresses IP de Shi Tao, qui ont permis de le localiser, et d’autres précisions qui ont servi à étayer l’accusation qui le visait.
La compagnie américaine se défendait jusqu’alors en plaidant qu’elle n’était pas au courant de la nature politique de l’enquête visant son utilisateur. Michael Callahan, le vice-président de Yahoo !, a ainsi expliqué en 2006, devant une commission du Congrès américain, que sa compagnie n’avait «pas d’information» sur l’objet de l’enquête de la police chinoise.
A la lumière des révélations de Dui Hua, le Comité des affaires étrangères de la Chambre des représentants a décidé la semaine dernière l’ouverture d’une enquête visant à déterminer si Yahoo ! avait intentionnellement trompé le Congrès dans sa déposition. «Yahoo ! va devoir répondre de beaucoup de secrets […], la dissimulation de pratiques aussi infâmes devant le Congrès constitue un grave délit», a averti Tom Lantos, qui préside le Comité des affaires étrangères. Il n’hésite pas à comparer les entreprises divulgant ce genre d’information à des «collaborateurs nazis».
Le second document mis en ligne par Dui Hua concerne l’ingénieur Wang Xiaoning, qui fait partie des 49 cyberdissidents chinois jusqu’alors emprisonnés, selon un décompte établi par l’organisation Reporters sans frontières. Wang a lui aussi été condamné à dix ans de prison, en septembre 2003, pour «incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat», sur la base d’informations divulguées par Yahoo !.
«Contre-révolution». Le pouvoir chinois a supprimé de ses textes le crime de «contre-révolution» voilà quelques années, alors que Pékin briguait les Jeux olympiques. Le PC chinois a cependant renforcé dans le même temps son arsenal juridique répressif à l’encontre des dissidents en les accusant soit de crimes de droit commun (vol de bicyclette, fréquentation de prostituées, etc.), soit de crimes tels que «l’incitation à la subversion» ou la «divulgation de secrets d’Etat».
S’appuyant sur cet argument, les familles de Wang Xiaoning et Shi Tao ont porté plainte contre Yahoo ! en mai dernier, devant la cour d’Oakland, en Californie. Un porte-parole de Yahoo !, cité cette semaine par la presse américaine, estime toutefois que «ces terminologies peuvent recouvrir des requêtes légales et légitimes, comme le terrorisme». (Liberation.fr)