J’ai toujours aimé ce lieu, à mon sens l’un des beaux coins du Tarn, et je ne sais toujours pas pourquoi. Il n’a jamais influencé, que je sache, l’histoire de ma famille, plus attachée aux bans de Lavaur, un peu plus à l’ouest. Je n’y ai connu personne hormis mon notaire et une cousine, qui s’y sont installés il y a peu de temps, quelques années à peine. Ma sœur avait bien failli acheter il y a très longtemps une maison imbriquée dans les remparts, mais l’affaire ne s’était pas faite ; une histoire de travaux liée au classement d’une partie de la propriété à l’ensemble plus vaste de la collégiale Saint-Rémy. Sachant les embarras que connue par la suite la vie de couple de ma sœur, c’est finalement une bénédiction.
En y réfléchissant, ce n’est pas tant le village qui m’inspire, malgré tout son charme, notamment patrimonial, que ses alentours. Implanté sur une butte, Lautrec est une tour de guet flanquée à l’extrémité oriental d’une longue falaise qui protège la plaine de l’Agout des vents du nord. De là, c’est un panorama exceptionnel qui déroule devant nous un tissage de routes et rivières encadrant pâturages, bois, champs et bosquets. Douceur d’une succession harmonieuse de monts et vallons qu’égaillent quelques points d’eau et que ponctuent les ombres portées d’un ciel moutonneux.
De là, quelques chemins vont se perdre vers le petit village de Brousse. Sur le flanc d’une de ses vallées, une de mes nièces y construit sa demeure, promesse de soirées révélatrice de sérénité suave et languide. On est là au cœur du pays de Cocagne. Non celui de l’allégorie, mais celui qui inspira le mythe. Il y a plusieurs siècles, les agriculteurs plantaient sur ces terres le pastel. Une plante indispensable à l’obtention du bleu, une teinte très recherchée, en France bien évidemment du fait de ses couleurs, mais également dans toute l’Europe. L’indigo n’avait pas fait encore son apparition et donc causé sa perte. Et les négociants du coin amassaient de grandes fortunes, dont les demeures témoignent encore aujourd’hui, dans Albi comme dans bien des bastides de la région.
Dérouler le bitume, taché de terre et de feuilles mortes m’apaise alors que je suis en route vers Cahuzac pour y retrouver mon père, qui se remet difficilement d’un souci de santé. Je ne sais pas encore que je suis sur une mauvaise direction. Dans mon esprit, il n’y a qu’un seul village de Cahuzac. Celui qui borde le terroir des vins de Gaillac et qui possède un merveilleux établissement gastronomique, « La falaise » de Guillaume Salvan. Je me promets même de m’y offrir un déjeuner, baigné des nectars de Michel Issaly, l’artiste des vins de Gaillacs, ou de ceux de Robert Plageoles, le pape des vins de Gaillac… je ne sais pas encore, que mon père n’est pas hospitalisé à Cahuzac sur Vère, mais à Cahuzac sur Sorèze, non pas à nord du Tarn, mais à son sud, tout à côté d’un autre merveilleux village de pays de Cocagne, Sorèze, que son école a rendu célèbre un temps et qui petit à petit s’assoupit depuis sa fermeture
en 1991.A midi je parcours ses rues médiévales bordées de maisons à colombages et encorbellements puis m’arrête au restaurant « Le Tournesol », rue du maquis. Y pénétrer est déjà un plaisir tant les lieux sont dépaysants. Aux murs de pierres, de nombreuses œuvres d’artistes, tous admirablement mis en lumière. Une succession de pièces au charme suranné nous entraîne d’un boudoir à un fumoir, d’un petit salon au sol de tomettes et tapis doux et profond, à une salle à manger où ronfle un beau feu au cœur d’une large cheminée. On imagine bien le long tournebroche roulant un cochon de lait ruisselant de graisse et d’épices. Sur la droite, une verrière réchauffe un patio.
Je déjeune dans un profond calme, d’une salade lauragaise aux gésiers confits croquants. J’enchaîne par des rognons de veau à la crème. Les légumes, pomme de terre, navet et courgette, à peine blanchis, finement tranchés, sont irrésistibles dans cette sauce.
Le café et l’armagnac pour terminer me sont servis avec quelques petites mignardises délicieuses. J’ai quelque peine à quitter les lieux, d’autant qu’une pluie fine tombe derrière les portes-fenêtres. Il doit faire glacial, dehors.
Mais mon père doit m’attendre…