SOUVENIR
Quand pour chaque mortel se tait le jour bruyant,
quand sur les avenues de la cité muette
la nuit étend son ombre tamisée
et que vient le sommeil, prix des labeurs diurnes,
je dois dans le silence endurer longuement
des heures de veille torturante :
le repos de la nuit avive la morsure
des remords, intimes serpents; mon cœur, tenaillé par le spleen,
déborde de noirs sentiments;
le souvenir, sans un mot, à mes yeux
déroule sans fin son volume
et, relisant ma vie avec horreur,
je la maudis en frémissant
et je me plains, amer, et pleure amèrement,
mais je n'efface pas les lignes accablantes.
Alexandre Pouchkine, 19-VI-1828