2008 s’achève. D’innombrables films ont été projetés, les romans pleuvent comme les grenouilles en Égypte, et une vie ne suffirait pas à ne serait-ce que télécharger tous les albums placés dans les bacs. Bien que je m’enfonce un peu plus chaque année dans l’inactualité – je ne saurais donc, en aucune manière, prétendre établir un quelconque bilan exhaustif –, je me suis néanmoins complu à fréquenter quelques unes de ces créations.
Je connais peu de postures aussi agaçantes que celle du cinéphile passéiste, aux yeux duquel toute œuvre réalisée par un cinéaste vivant n’est à voir que pour mieux la compisser. Je n’ai, il est vrai, visionné en salles qu’un très petit nombre de films cette année, mais non seulement ces rares élus ne m’ont pas déçu, mais encore, ils m’ont souvent enthousiasmé. Les frères Coen, monolithiques (
No Country For Old Men), Arnaud Desplechin, toujours inventif (
Un conte de Noël), Béla Tarr, élégiaque (
L’Homme de Londres), Laurent Cantet, imprévisible (
Entre les murs) et Matteo Garrone, impressionnant (
Gomorra), m’ont encore prouvé la vitalité intacte d’un cinématographe du XXI
e siècle cependant élevé à sa plus haute expression par deux films d’exception,
Le Silence de Lorna de Luc et Jean-Pierre Dardenne, et
Hunger (en photo ici) de Steve McQueen, certes pas exempt de défauts mais d’une si stupéfiante beauté que nous ne retiendrons qu’elle.
Bien que guidés par ma seule intuition, mes errements dans le labyrinthe musical mondial n’ont pas été moins fructueux : l’électro dépressive de
Blue Shif Emissions de Christ ; l’album éponyme, entre Tétris, punk et New Wave, de
Crystal Castles ; les guitares et autres machines de Justin Broadrick (cf. photo ci-contre) et Jesu (
Pale Sketches – dont j’ai pu glisser un extrait lors de mon passage dans l’émission d’Éric Vial sur Fréquence Protestante –,
Why are we not perfect ?, et
J2 avec l’ex-Swans Jarboe, dont le
Tribal Limbo résonne encore dans mes neurones) ; Battles et leur single de la mort
Atlas (l’album s’intitule
Mirrored), détonnant mélange de riffs, de
samples et d’Alvin et les Chipmunks (si, si) ;
Person Pitch de Panda Bear et ses boucles psychédéliques qui vous font sourire connement ; Earth et son
Omen’s and Portents I – The Driver (sur l’album
The Bees Made Honey in the Lion’s Skull) d’une pureté étonnante, idéale (j’imagine) pour rouler dans le désert ; le dub hip hop noise de The Bug, alias Kevin Martin (
London Zoo) ; le dernier Sigur Rós, plus festif mais toujours beau (
Með suð í eyrum við spilum endalaust) et son
Festival aux extases quasi-religieuses) ; la cosmic disco de
Hans-Peter Lindstrøm (
Where you go, I go too) ; l’électro-Krautrock mort-vivant de Zombie Zombie (
A Land for Renegades) ; et l’
ambient torturée de Portishead (
Third, et sa corne finale qui me rappelle immanquablement les tripodes de
War of the Worlds de Spielberg), ont tous habité mes innombrables voyages en métro ou en RER. Et les concerts de Sigur Rós (au Zénith) et de Killing Joke (au Trabendo) furent d’inoubliables moments de grâce et de furie. Et je ne passerai pas sous silence la prestation énergique des excellents Idem au Nouveau Casino (merci, sTeF) ; le concert, un peu trop lisse mais efficace, de Radiohead à Bercy, et la grandiose représentation de l’opéra de
David Cronenberg et Howard Shore,
The Fly au Théâtre du Châtelet, injustement désintégré par une critique qui n’y a visiblement rien entendu. Tandis que, après le spectacle, Sébastien et moi devisions tranquillement en compagnie de Philippe Curval et de sa charmante épouse Anne Tronche, un journaliste de
Variety nous interrogea ; de notre mini-interview sur le trottoir, notre
reporter a surtout retenu dans son article quelques mots de Philippe (« “Maybe the music's in danger of being monotonous, but the opera's a fascinating case of a director commenting on his earlier work,” said French writer Philippe Curval after the show »), non sans relever, quoique anonymement, l’enthousiasme des « Cronenberg fans » (autrement dit : Sébastien et moi). Belle moisson musicale, donc.
La situation est plus nettement critique si je me tourne vers ma bibliothèque : si l’on excepte, en science-fiction, les rééditions ou nouvelles traductions (
Le Temps incertain et
Soleil chaud poisson des profondeurs de Michel Jeury,
Sauvagerie,
La Forêt de cristal,
Le Monde englouti et les
Nouvelles complètes vol. 1 de J.G. Ballard), pas grand-chose en effet à se mettre sous la dent – mais je n’ai lu ni
2666, ni
Contre-Jour, et pas plus les Volodine/Bassmann).
Bastard Battle de Céline Minard,
Pixel Juice et
NymphoRmation de Jeff Noon, ont réussi à me surprendre (comme, dans une moindre mesure,
Lothar Blues de Philippe Curval et
Lacrimosa de Régis Jauffret), mais en définitive leurs jouissives étincelles ont été totalement éclipsées par une étoile autrement plus intense :
La Route de Cormac McCarthy. Depuis près d’un an en effet, le père et l’enfant poursuivent leur errance crépusculaire sur les gris sentiers de mon cortex. L’émotion est intacte : leur feu brille, miraculeux, dans la nuit littéraire contemporaine, qu’heureusement éclairent aussi d’un lustre éternel les astres du passé : Dostoïevski (
Carnets du sous-sol,
Le Double,
Les Frères Karamazov), Gogol (
Nouvelles de Petersbourg), Melville (
Moby Dick et sa quête concentrique de Dieu, relu dans la sublime traduction d’Armel Guerne) ou Nabokov, dont le
Lolita irradie encore, tel un soleil noir, sur mon trente-deuxième hiver, ont tout emporté sur leur passage.
Le Transhumain vous souhaite à tous d’excellentes fêtes.