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C’est si loin tout ça, pourtant je me souviens qu’ici à la boîte il fût une époque où l’on savait fêter Noël. Dans les services on dressait le sapin, on tendait des guirlandes aux murs, chacun exprimait son talent de décorateur – ou pas – pour donner à son lieu de travail un air de fête. Avec un collègue nous allions au Marché aux Fleurs près du Palais de Justice acheter un vrai sapin, un qui sent bon et qui perd ses aiguilles, lestés du conifère roulé comme un macchabée sous les bras nous revenions par le pont d’Arcole et la rue de Rivoli vers nos bureaux tout proches. Des armoires à archives nous ressortions le carton où s’entassaient les guirlandes et les boules et telle une maternelle d’enfants âgés nous prenions notre temps pour enluminer les lieux. Chaque service rivalisait d’inventivité et les couloirs bruissaient d’une activité fébrile et joyeuse en ces derniers jours de l’année comme dans une comédie de Franck Capra. Venaient ensuite les cadeaux. Les boîtes de chocolats s’empilaient sur le bureau du chef et leur nombre étaient autant de galons sur l’uniforme de nos compétences pour récompenser un service qui en avait rendu beaucoup aux autres. Ces chocolats étaient payés sur les deniers des Chefs de Service ou parfois, pour les services commerciaux, obtenus des fournisseurs comme cadeaux et refourgués mesquinement à des collègues mais l’un dans l’autre tout le monde y trouvait son comptant. Pour ne pas rester à l’écart, la cantine se devait de faire un geste et le repas de Noël était fort couru. Ce jour-là même ceux qui n’y mangeaient pas le reste de l’année venaient y faire un tour pour profiter des plats soignés et festifs dont certains étaient offerts gracieusement. Aujourd’hui il ne viendrait à l’idée de personne de décorer son bureau, non seulement pour ne pas passer pour un ringard mais aussi parce qu’avec les open-space plus personne n’a de bureau ! Quant à la cantine le ridicule petit morceau de bûche offert pour marquer la fin de l’année il y a quelques jours a surtout mis en relief la restriction des budgets. Désormais on ne fait plus de cadeaux !