François Audouze propose une réflexion intéressante sur la gestion des caves et la politique des cartes à vins dans les restaurants.
Les 10% de rendement annuel, c’est, en effet, un excellent placement! Au delà de 20%, cela devient astronomique. Attention, ça sent la bulle ou l’affaire Maddoff, ce n’est pas durable sur le long terme. D’u autre côté, avoir des stocks qui roulent sur 15 ans, cela prend de la place et nécessite du travail : sélection en amont, suivi… Il peut y avoir du rebut, avec des vins qui vieillissent mal ou qui bouchonnent.
Pour un restaurant d’une trentaine de couverts, ouvert midi et soir en semaine, ainsi que samedi soir, on peut prendre l’hypothèse suivante : une bouteille pour quatre couverts servis à midi, une bouteille pour deux couverts le soir. En supposant que le taux de remplissage moyen est de 60% à midi et 80% le soir, on arrive à (0.6*5*30/4)+(0.8*6*30/2)=94,5 bouteilles. En suposant qu’une bouteille sur 20 est perdue, cela fait une consommation arrondie à 100 bouteilles par semaine. Pour 48 semaines d’ouverture par an, on est à 4800 bouteilles. Sur quinze ans, cela fait la bagatelle de 72 000 bouteilles! On peut prendre comme hypothèse qu’il y a trois gammes de bouteilles, achetées initialement à des prix moyens de 5EUR (35%), 15EUR (35%) et 25EUR (30%). Cela ferait un prix moyen de 14,5EUR/ bouteille. Soit un investissement de près de 70kEUR/année. En supposant que des quantités similaires, à des prix identiques (je néglige le fait que certains millésimes se vendent plus chers que d’autres, ainsi que l’inflation) soient consommées/acquises tous les ans, et que les valeurs des stocks s’apprécient de 10%/an, la valeur d’une cave “pleine” (15 ans) serait de 2,2MEUR! Cela fait une jolie somme!
Autre problème : ces bouteilles, il faut les stocker : 4800 bouteilles=3600 litres. Si tout tenait dans une cuve, à la rigueur. D’après ce descriptif de cave à vins électrique, une bouteille prend en fait plus de 3L. En optimisant, on doit pouvoir descendre à 3L/ bouteille. Ce qui fait presque 15 m3! Sans compter l’espace pour permettre à un humain de circuler. Aller, on s’en sort avec un couloir de 1,8m de largeur sur 8 m de long, avec environ 2m de hauteur. Presque 15m2. Même à 600EUR/mois (prix d’un studio équivalent à Paris), la dépense n’est pas trop méchante, par rapport au reste.
Il faudra aussi prévoir une bonne porte blindée (pour protéger toute cette richesse en liquide), un sommelier et pourquoi pas un système informatisé de gestion des stocks plus système de vidéosurveillance… La porte blindée, la vidéosurveillance, le système de gestion des stocks, cela fait un investissement inital, puis un coût de maintenance.
Le sommelier va bien coûter 40-50kEUR/an et alourdira sensiblement les charges (+60% par rapport au prix d’acquisition des bouteilles), mais, malgré cela, l’entité vins-sommelier reste largement bénéficiaire, si l’on suppose que l’on vend des vins achetés 15 ans plus tôt, avec +10% d’appréciation par an (300kEUR de ventes annuelles). Certes, la marge n’est plus de 200-300%, mais juste d’environ 100%. Une bonne bouteille de quinze ans d’âge serait vendue autour de 100EUR, une très bonne bouteille autour de 200EUR. Rien à voir avec les prix actuels!
Ah oui, et il faut surtout des années pour se constituer une telle cave. On comprend que peu de restaurateurs aient la possibilité de réaliser ce souhait. Pourtant, ce n’est pas impossible! Mais il faut voir plus loin que le bout de son nez, penser long terme et développement durable. En plus, une telle adresse aurait un avantage compétitif par rapport à ses concurrents, ce qui attirerait sans doute des clients malins et raisonnables.