Strange Alice

Publié le 22 décembre 2008 par Rose

« Je suis en retard ! » Comme le lapin blanc, courir après le mois de décembre, avec le sentiment d’être restée prisonnière de la fin de novembre et d’être relâchée au tout début des fêtes (qu’est-ce que c’est que ce congrès de pères Noël en moto sur le grand parking ? pourquoi n’ai-je ressenti aucune urgence à sortir les calebasses sculptées et le vrai-faux sapin bricolé il y a quelques Noëls ?).
Marcher peu après l’heure du thé, en prenant son temps, vers la station de métro ; constater qu’aucun métro ne passera avant un bon quart d’heure, décider qu’on a le temps d’aller à pied au théâtre.
Justement il y a sur scène un chapelier fou condamné par le Temps à rester prisonnier de l’heure du thé et à tourner comme une aiguille déréglée autour de la table encombrée de tasses, sans pouvoir prendre le temps de faire la vaisselle. De l’autre côté du miroir, par contre, le temps roule à l’envers et l’on y a mal avant même de s’être piqué le doigt à l’épingle de son foulard.
Inverser le temps. Non, mieux vaut être condamnée à la nostalgie légère de ces mois, de ces années qui glissent comme de l’eau entre nos mains, nostalgie adoucie par une sorte d’allègement général des choses. Comme on était sérieux à dix-sept ans, comme on était grave, que la vie paraît plus souriante aujourd’hui.
Mais figer le temps ? plutôt en superposer différentes strates, réunir cette sérénité difficilement conquise et la fraîcheur de ces années perdues.
Alice, elle, aura toujours sept ans, même pas l’âge qu’elle avait lors de cette promenade en barque avec Charles Dodgson, durant laquelle il délaissa les rames pour leur raconter, à elle et à ses sœurs, les aventures d’Alice sous terre. L’âge où l’imaginaire de Lewis Caroll fixe la perfection enfantine, au-delà duquel les filles changent « et pas en bien ».

L’âge qu’elle avait, ou presque, sur les photographies où elle posait, grimée en petite mendiante, pour lui.
Enfermée dans le rêve de son créateur. Un rêve ? Plutôt un cauchemar, où les apparences sont mouvantes, où les mots prennent le sens qu’on veut bien leur donner ;  l’aventurière y est en constant décalage avec l’univers qu’elle explore, les paroles s’y bafouillent, animées de leur propre logique folle.
Sur scène, éclate le formidable potentiel comique de ces conversations absurdes, aussi bien que leur discrète tristesse, quand la petite fille proteste de son existence, un peu trop vivement peut-être, avant de s’effacer du monde des miracles et des étonnements.