Réflexion une (21 décembre 2008)
La théorie de la régulation ...
Qu'est-ce que la théorie de la régulation ? C'est un courant de pensée économique, né en France dans les années 1970, « qui cherche à expliquer la reproduction du système capitaliste à travers des régimes d'accumulation du capital successifs, chacun caractérisé par un mode de régulation spécifique. » Ses fondateurs sont Michel Aglietta, Robert Boyer, Bernard Billaudot et Alain Lipietz.
La théorie de la régulation repose sur un dépassement de la théorie marxiste (et althusseriste) du capitalisme et de ses transformations. La théorie de la régulation part de l'invalidation de la loi du déclin inéluctable du capitalisme énoncée par Marx (la baisse tendancielle du taux de profit), qui n'a pas été vérifiée dans les faits. Le capitalisme, au lieu de disparaître, comme l'avait prédit Marx, se renouvelle sans arrêt, adopte des formes inédites. Le capitalisme se régénère en quelques sortes pour continuer à exister. Il s'agit alors, pour la théorie de la régulation, de comprendre comment le capitalisme parvient à surmonter ses crises et quels modes de régulation sont à l'œuvre. Selon cette école, chaque société a développé historiquement ses propres compromis institutionnalisés, issus pour partie de l'histoire et pour partie des rapports de force et du rôle des groupes sociaux. Ces compromis encouragent ou freinent la dynamique du capitalisme, selon que les règles qui en résultent (notamment celles qui régissent le partage des gains de productivité entre salaires et profits) sont ou non cohérentes entre elles. Comment le capitalisme, malgré les contradictions et les crises qui le caractérisent, a-t-il su s’adapter à un contexte économique et social en évolution constante, pour continuer de fonctionner ?
La théorie de la régulation repose sur un certain nombre de modes de régulation (rapport de forces entre les classes, type de concurrence intercapitaliste, rôle du crédit et de la monnaie, rapport entre les entreprises et rôle de l’État) qui régissent les rapports entre un certain nombre de formes institutionnelles (forme de la concurrence, forme de la monnaie, forme de l'État, forme du rapport salarial et forme d'insertion dans l'économie mondiale) et des régimes d'accumulation (extensif -fondé sur l'accroissement du stock de facteur de production- et intensif -fondé sur d'importants gains de productivité-).
« Un mode de régulation est un ensemble de médiations qui maintient les distorsions produites par l’accumulation du capital dans des limites compatibles avec la cohésion sociale au sein des nations. » En d'autres termes, un mode de régulation correspond à un ensemble des mécanismes et des institutions qui permettent à l’accumulation capitaliste de fonctionner pendant des périodes relativement stables. Le développement du capitalisme peut ainsi être analysé comme une série de modes d’accumulation ; la crise étant le moment où un mode de régulation atteint ses limites et un nouveau mode émerge pour le remplacer.
L'histoire du capitalisme (c'est-à-dire la succession des modes de régulation et des régimes d'accumulation) est ainsi expliquée de la manière suivante par la théorie de la régulation :
1) Avant le XVIIIe siècle, un mode de régulation à l'ancienne
2) La Révolution Industrielle et le XIXe siècle : une accumulation extensive, fondée sur une mobilisation massive de capitaux et de main d’œuvre, en régulation concurrentielle, où tout ajustement se fait sur la base du marché et de la concurrence. Michel Aglietta donne l'exemple du capitalisme américain du XIXe siècle, marqué par un régime de développement intensif basé sur la plus-value absolue (entre autres par l’augmentation du temps de travail). Cela est caractérisé par la création de moyens collectifs de production, essentiellement l’industrie lourde, sans remodeler le mode de consommation.
3) La période de l'entre-deux-guerres : accumulation intensive sans consommation de masse (absence de régulation clairement définie). Selon Michel Aglietta, toujours aux Etats-Unis, , une nouvelle organisation du travail à l’usine, le “taylorisme”, se développe entre 1914 et 1945 et rend possible une accumulation basée sur la plus value relative, à travers l’introduction de nouvelles technologies pour la production de masse. Toutefois, un problème structurel de sous-consommation mène aux crises des années 20 et 30.
4) Les Trente glorieuses : accumulation intensive avec consommation de masse, en régulation fordiste ou monopoliste (ce système repose notamment sur la transposition en hausses de salaire des gains de productivité très importants de la période). Cette nouvelle phase (le fordisme) a été caractérisé par “l’auto-entretien de la croissance » et par “la robustesse du régime de croissance face aux chocs conjoncturels”. Dans le fordisme, l’accumulation intensive (la production de masse) arrive finalement à établir des formes institutionnelles qui garantissent une consommation de masse. Les hausses de productivité dues aux nouvelles technologies permettent la hausse des profits mais aussi celle des salaires. Celle-ci permet à son tour d’offrir des débouchés pour les biens de consommation avec une croissance qui s’auto-alimente.
5) Après deux décennies de croissance, ce mode de régulation entre dans une crise, dont les causes résident pour Aglietta à la fois dans l’épuisement des possibilités techniques de ce mode d’organisation du travail et dans la montée de la lutte des classes et de la contestation du fordisme dans les entreprises. On entre ainsi, dans le dernier quart du XXe siècle et au début du XXIe siècle, dans une nouvelle phase dénommée par Robert Boyer "Accumulation extensive avec consommation de masse", avec un mode de régulation (le post-fordisme) qui reste à définir. L'existence d'un mode de régulation fondé sur la prédominance de la finance a aussi longtemps semblé discutable.
Enfin, la théorie de la régulation a construit une typologie des crises qui rend compte de différents désajustements produits de manière endogène comme conséquence de la configuration institutionnelle (crises exogènes, crises endogènes, crise du mode de régulation, crise du régime d'accumulation et crise du mode de développement).
Pour les tenants de la théorie de la régulation, les crises sont indispensables et indissociables du fonctionnement du capitalisme. Cette théorie, permettant d'expliquer la succession des équilibres nouveaux trouvés dans le fonctionnement du régime capitaliste et la survenance régulière de crises économiques et sociales, offre un apport intéressant, notamment lors de cette nouvelle crise économique et financière mondiale traversée en ces années 2007-2008. Que représente cette crise actuelle ?
1) Est-ce une crise exogène, dû à un événement extérieur au système, qui peut être très perturbante, mais ne met pas en danger le mode de régulation, et encore moins le régime d'accumulation ?
2) Est-ce une crise endogène, qui correspond plus ou moins à la période de dépression d'un cycle (Juglar), expression même du mode de régulation, qui "purifie" le système par la crise ? Ces crises permettent en effet de résorber les différents déséquilibres qui se sont accumulés pendant la phase d'expansion, sans altération majeure des formes institutionnelles.
3) Est-ce une crise du mode de régulation, où l'état et l'agencement des formes institutionnelles doivent être modifiés, lorsqu'elles s'avèrent incapables d'éviter une spirale dépressionniste ? Le meilleur exemple est celui de la crise de 1929 où le jeu de la concurrence n'a pas permis le retour de la phase d'expansion.
4) Est-ce une crise du régime d'accumulation, qui peut être entrainée par la non résolution d'une crise du mode de régulation, lorsqu'il est impossible de poursuivre la croissance à long terme sans bouleversement majeur des formes institutionnelles ? Là encore, la crise de 1929 est le meilleur exemple.
5) Enfin, est-ce une crise du mode de développement (ou effondrement du système) ?
La théorie de la théorie est cependant dépassée dans ces explications et analyses historiques. Pour reprendre une critique de Toni Negri, la théorie de la régulation est un enfant de la crise de 1968, et de la découverte du monde ouvrier par les intellectuels, de la classe ouvrière massifiée.
Mais la réalité économique n'est jamais stable ... Elle évolue à chaque fois que la science économique croit la saisir. « C’est ainsi qu’au moment même où le prolétariat avait réussi à arracher les compromis les plus avantageux, le capital s’employait à les vider de leur contenu, à déterminer des situations technologiques et de nouveaux contextes dans lesquels ces compromis étaient désormais inutiles, entraînant de nouvelles modalités pour la subordination de la classe ouvrière. L’histoire du capitalisme est toujours faite de réponses déterminées aux attaques ouvrières : contraints de déplacer leur niveau de domination, les capitalistes le reconstruisent technologiquement et politiquement de manière à fournir une réponse homogène aux revendications du prolétariat et, en même temps, à le battre sur ce nouveau terrain. Le capitalisme trouve son ressort dans les déplacements mêmes qui lui sont imposés et qu’il doit dominer. Dans cette perspective les transformations technologiques sont des armes fondamentales pour l’action du capital. Et elles le seront de plus en plus (après que le capital a surtout utilisé pendant des siècles l’arme de la terreur et de la répression) tant que les producteurs ne se seront pas réapproprié la technologie. Aujourd’hui l’antagonisme anticapitaliste de l’ouvrier massifié est un antagonisme caractérisé par le refus du travail dans la forme sous laquelle il a été imposé par le patron. Refus du travail salarié de la part de l’ouvrier massifié ou encore refus de l’abstraction du travail dans l’usine fordiste, du taylorisme sur la chaîne de montage et dans la cité-usine. Refus du travail manuel et en même temps découverte de la formidable force de coopération que la classe ouvrière est capable de construire. Après 68, à partir de la première crise pétrolière et du décrochage du dollar par rapport à l’or (ces choix stratégiques annoncent le XXIème siècle), le capital opère selon une ligne de restructuration technologique et sociale, mais aussi politique, dont seule la fin des années 80 nous donnera la mesure complète. Son projet, qui est gagnant à l’heure qu’il est, est de faire disparaître la partie contractante adverse de ce compromis social que les luttes lui avaient imposé, donc de faire disparaître l’ouvrier massifié. Pendant ces vingt dernières années le capital a agi de manière cohérente non seulement pour renverser à son profit le contenu des compromis, mais aussi pour éliminer la figure même du compromis, la forme-contrat. Le marché contre le contrat, l’individualisme contre tout sujet coIlectif et solidaire, le libéralisme contre le welfare-state. Les théories et les pratiques du contrôle monétaire de l’économie et de la société signifient l’élimination de la scène du sujet ouvrier de masse en tant qu’agent contractuel. »
Ce qui fait dire à Toni Negri que, bien que l'école de la Théorie de la Régulation ait complètement raté le changement d’époque que nous avons vécu en cette fin du vingtième siècle, elle reste une des expériences les plus importantes de la critique de l’économie politique !
Saucratès
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