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Un délicieux petit livre, celui de Jacques Bonnet, "Des Bibliothèques pleines de fantômes" qui vient de paraître aux Editions Denoël, se propose de nous rappeler les joies et les vissicitudes des très grandes bibliothèques, celles des plus de 5000 volumes - les fantômes étant ces feuilles ou cartons que l'on met à la place d'un livre sorti d'un rayon de bibliothèque, d'un document emprunté. Ces grands paquebots sortis tout droit d'une époque qui semble aujourd'hui révolue et qu'il est bien difficile de barrer. J'ai connu Jacques Bonnet du temps où il officiait en tant que secrétaire général d'une grande maison d'édition, en essayant d'allier, bon gré mal gré, l'exercice périlleux de la passion des livres et de la rentabilité à deux chiffres. Il a heureusement poursuivi son chemin dans la première voie en tant que traducteur, éditeur, critique d'art et auteur, nous gratifiant de temps en temps de délicieux petits ouvrages. Après "A l'enseigne de l'amitié" paru il y a quelques années autour du philosophe italien Giordano Bruno, il nous donne aujourd'hui un petit essai sur l'art et la manière de gérer une très grande bibliothèque, perpétuant en cela la tradition des grands bibliophiles et qui n'est pas sans rappeler les petits ouvrages du Bibliophile Jacob que l'on trouve de temps en temps dans les boites des bouquinistes. Le livre fourmille d'anecdodes (on regrette un petit index), de curiosités, de bizarreries sur l'art et la manière d'aimer les livres et de les accumuler. A ce propos, iI y a quelques années, un pompier de Paris m'avait raconté qu'il avait quelques années auparavant, vidé de toute urgence de ses livres un appartement qui menaçait d'écrouler l'immeuble entier. En fin d'ouvrage, l'auteur se pose la question de l'usage de ces bibliothèques dans leurs rapports avec le savoir. "Curieusement la source d'informations infinie que constitue Internet n'a pas pour moi le même statut magique que ma bibliothèque. Je suis devant mon ordinateur avec lequel je peux accéder à tous les renseignements inimaginables, encore plus maître du temps et de l'espace, et pourtant il y manque "le divin". Peut-être une question charnelle : je fais cela du bout des doigts, cela reste extérieur, cela passe par une machine et un écran. Rien à voir avec mes murs tapissés des livres que je connais - presque- tous par coeur. D'un côté j'ai l'impression d'être au commande d'un fabuleux bras articulé capable de toutes les performances dans le vide sidéral extérieur, de l'autre dans un utérus aux parois tapissées de rayonnage dont l'archétype romanesque pourrait être le Nautilus. Comme on le voit la question n'est pas seulement de rationalité". Sans opposer de manière dogmatique électronique et papier, Jacques Bonnet s'interroge s'il aurait constitué la même bibliothèque s'il avait été de la génération Internet? Sans doute pas, répond-t-il, même si pour lui : "Quant à lire Guerre et Paix ou feuilleter L'Os à moelle de Pierre Dac sur un écran, le support papier, comme disent les spécialistes, a encore tout un avenir".