Lorsque le peintre et plasticien Yves Klein initie ses "anthropométries", il semble nous replonger dans l'art le plus primitif. Ses "femmes pinceaux", modèles nus qui se badigeonnent à coups de seaux de peinture bleue, apposent l'empreinte de leur corps sur la toile en nous laissant une impression étrange et comme un sentiment de malaise. L'acte lui-même est théâtralisé, réalisé en public, initiant en cela les "happenings" qui seront chers aux adeptes du pop art. Le résultat conduit à une forme primitive du corps, rappelant (faussement) les peintures et sculptures rupestres.
Comment ne pas penser, lorsque l'on voit l'anthropométrie de la période bleue, aux mains étranges et fascinantes de la Grotte Chauvet ? Un trait commun est bien entendu le rituel. Celui d'une forme de provocation pour Yves Klein dans la société embourgeoisée des années soixante face à celui, bien plus profond, de l'acte créateur d'un homme de l'Aurignacien, désirant marquer à jamais son humanité sur la pierre avec le pigment.
Il est intéressant de noter comment un peintre dandy parisien, en badigeonnant de superbes créatures nues qui s'étalent lascivement sur des toiles blanches, aboutit à des formes aussi primaires, nous ramenant à nos racines animales les plus profondes, alors qu'inversement, l’homme de Néandertal, au fond de sa grotte, représente, avec des bâtons et un pigment rudimentaires, une main avec un niveau de raffinement et d'élévation absolus.
En outre, sur le pur plan de la forme, la démonstration que l'un est bien l'antinomie de l'autre est évidente : la main apparaît comme un négatif, entouré du pigment, alors que chez Klein, le corps est en positif.