Evidemment, défnir les frontières de l'inculture est infiniment impossible et l'on pourrait y passer au delà de sa vie. Ses jours, ses nuits, en Saint Jérôme au lion, courant halluciné, et là, ça, je ne sais pas, et là, mon Dieu, le coeur étreint par cette chanson bétasse de Gabin, je sais que je ne sais pas. Au pied le lion puisque je te dis que ça n'est pas la peine, reposons la plume et renonçons même à avouer l'errance, le vertige immense, et zut pour cette question idiote.
Et puis en définitive être inculte, même peu, si peu, mettons, permet d'avoir tout à découvrir.
Et toc.
Au collège où je faisais partie du club théâtre, j'ai joué Scapin dans ses fourberies. Il y avait aussi "Le petit Prince" et j'étais amoureuse du Renard.
En juin, je vais assez assidument au Printemps des Comédiens, c'est dans un amphithéâtre en plein air, on est assis sur des bancs en bois dur, et parfois, des échardes traversent le tissu léger des vêtements. On arrive avec nos couvertures parce que pour rester trois heures immobile, c'est nécessaire.
Certains apportent des coussins fessiers, c'est malin. Je n'ose pas encore, c'est comme hésiter à prendre un petit pliant pour la plage ou à porter des sous vêtements Damart, je résiste à l'abandon de la jeunesse triomphante, indolore et insouciante des désagréments dus aux échardes de bois, aux grains de sable sournois ou aux courants d'air délétères.
L'été dernier, j'ai vu Michel Bouquet dans l'Avare. Il était déjà malade, et nous passions d'une fesse impatiente à l'autre discrètement, attendant avec anxiété de savoir si le spectacle allait être annulé ou non. Et il est arrivé, il était un avare pathétique, touchant et plaintif, on pensait qu'il était avare de sa vie qui fuyait. Presque on avait envie de lui dire non mais prends la, ta cassette, retourne te coucher sur ce lit d'un blanc de deuil qui trône sur la scène, tu vas attraper mal Papy. Ca ne vaut pas le coup de te mettre dans des états pareils, allez, je te fais une tisane. C'est dire le degré d'empathie.
Quelques temps après, Bouquet est mort, comme Béjart après être passé au festival Montpellier Danse, où il avait été acclamé pendant un quart d'heure, par une foule au garde à vous, soutenu au bord de la scène par un danseur à chacun de ses cotés, une foule en dévotion totale.
Pareil pour Michel Bouquet.
Je n'en aurais jamais fini avec le cinéma. Tu es là, tu t'installes, le noir se fait, et ce qui se passe devant toi t'envoies dans une autre dimension.
Ce qui fait que mon inculture au cinéma est à la hauteur de mon amour pour lui.
Certains films m'ont tellement marquée à vie qu'il ont modifié ma chimie corporelle.
Parfois, tu es là, dans le film, cette femme, c'est ta soeur, ce paysage, ton paradis perdu, cette sensation est déjà une drogue dont tu es en manque, cette musique grave des sillons dans les circonvolutions de ton cerveau reptilien.
Le film finit, la lumière t'agresse et tu subis une perte irrémédiable.
Mais c'est ainsi que tu peux avoir plusieurs vies.
Quant aux livres, c'est du cinéma raconté, celui dont tu es l'unique et éphémère réalisateur.
La même étendue d'in-culture, les mêmes possibles infinis.
Pour ce qui est de la géographie, je peux dire que j'ai plusieurs fois visité le 7e ciel, mais je suis infichue de situer les six autres.
Pour ce qui est des maths, il y a les équations. Mais à quoi ça sert les équations, des formules magiques que des garçons à lunettes se promettent de transmettre dès leur plus jeune âge pour compenser leur solitude sociale.
Hier, j'ai mangé de la salade de méduse, qui n'était pas si translucide que ça, et je n'ai repéré aucune ventouse de patte.
Comme quoi on peut en découvrir tous les jours.
Néanmoins, je ne suis pas intriguées par les vers blancs de Koh Lanta, pulpeux et élastiques, et même si un jour j'arrivais à dominer mes relations avec l'eau - je suppose que je pourrais m'entrainer déjà en ne suffoquant plus sous la fine pluie des brumisateurs d'eau d'Evian - non vraiment, je ne rendrais aucun service à mon équipe avec ces histoires de vers blancs.
Pour le vin, je fais confiance à Nicolas.
Aujourd'hui, chez Nicolas, j'ai vu un client acheter du Clos de l'Olivier, un Bordeaux, parce qu'il allait à un repas d'anniversaire chez un Olivier.
Il y avait du monde dans l'échoppe, et pendant que le vendeur assurait que le Clos de l'Olivier allait très bien aller et que le nombre de clients devenait critique, je papotais avec le père du vendeur, venu aider pour les vacances. Il m'a dit ah moi aussi je suis de l'Hérault, je suis de Béziers, C'était un charmant vieux monsieur, on sentait qu'il faisait tout ce qu'il pouvait pour être agréable, presque on avait envie de l'emporter.
Si je devais reprendre des cours, apprendre de la Culture, ça serait en histoire et en géographie, mais aussi, j'irais aux Beaux Arts du 3e Age, si ça existait.
J'adorerais savoir quelle artiste était en devenir en moi, cachée, mais toujours vivante.