Malgré le nombre impressionnant de réunions qui sont organisées par les responsables du programme des itinéraires culturels et en dépit des actions visibles - et je dirais bien entendu des résultats, je ne sais pas toujours si le fait d’en parler dans ce blog, comme je le ferais sur le site de l’Institut des itinéraires culturels dans un contexte plus officiel et institutionnel, peut vraiment attirer l’attention.
J’essaie à l’habitude, dans cet espace parallèle, ou pour les plus jeunes, lors de conférences, de raconter une histoire de l’Europe liée aux places et aux gens. Elle est plus concrète et plus directement accessible, mais je crois qu’elle est aussi plus fortement politique. Non pas à la manière d’une politique de discussion intergouvernementale, mais dans la mise en perspective du droit quotidien !
C’est en effet une histoire éclatée dont il est question, itinéraire après itinéraire, mais une histoire sensible qui a ses retentissements aujourd’hui et ressort à la une de l’actualité, comme l’on dit, sous la forme de faits très particuliers (des conflits frontaliers ou ethniques, bien sûr, mais aussi des découvertes archéologiques, des destructions urbaines, des néo-ruralités assumées, des projets culturels alternatifs, et tout bêtement des rencontres entre Européens, citoyens anciens ou migrants…). Des retentissements qui mériteraient d’être analysés dans la perspective d’un parcours autant synchronique que diachronique, mais qui, faute d’explications restent la plupart du temps pour le plus grand nombre, des faits isolés.
Pourquoi par exemple mettre en avant le partage citoyen quand aujourd’hui la plupart des actions sociales sont attendues des Etats ? Autrement dit que peut nous apprendre un geste institué par l’église catholique il y a seize siècles comme un fondement d’un devoir de charité généralisé et ontogénique, dans un contexte contemporain où nous disposons d’une assistance sociale, certes défaillante et où les tenants de la laïcité absolue ont le plus grand mal à refonder un geste religieux dans un contexte de citoyenneté moderne, en dehors de l’intervention des Etats ?
Et comment ce geste, s’il doit fonder un nouveau rapport citoyen multiculturel, entre les habitants d’une même proximité, parfois dans un espace transfrontalier à la mémoire encore brûlante, ou entre des continents riches et pauvres…pourra-t-il garder la trace de son origine, en mettant en avant un personnage historique parmi les plus universels en Occident, en acceptant la manière dont l’église l’a chargé de sens pendant des siècles, en l’instrumentalisant parfois, mais sans en faire aujourd’hui seulement, voire banalement, un instrument laïc, hors contexte, risquant d’être arc-bouté contre d’autres cultures ou d’autres religions qui ont pris en compte d’autres symboles pour exprimer la même valeur ?
Je ne cherche certes pas à brouiller les cartes, car ces questions sont bien entendu passionnantes et je pense que les jeunes auxquelles elles sont posées, pour peu que les mots et les images leur correspondent, en sentent la pertinence.
Il faut avoir le courage de les poser aux génération nouvelles, comme aux spécialistes, dans un va et vient entre eux.
Ce travail de mise en perspective historique et sociale, et pour mieux dire d’analyse interculturelle a fort heureusement commencé, mais il n’en reste pas moins qu’à sa manière, Coluche, prenant en compte les traces du travail d’un Abbé, bien avant lui, n’a pas attendu la mise en perspective théorique pour agir.
A chacun son domaine, dira-t-on, ou plutôt ses domaines, qui ne sont pas exclusifs : l’action directe et la réflexion.
Le partage reste bien une urgence ! Il n’empêche que la manière de prononcer ce mot aujourd’hui, quand les responsables des Etats parlent de partage en mettant en avant des sommes qui dépassent un entendement commun, montre que l’urgence de sauver des banques, des industries, voire bientôt des caisses de retraite, en injectant une aide dont on ne garantit l’éthique que du bout des lèvres, génère un sentiment d’incompréhension vis à vis du partage quotidien avec les plus démunis.
Devait-on faire évacuer avec sévérité et éclat médiatique une centaine de tentes parce qu’elles attentaient à la vue et au sens de la propriété partagée de l’espace public le long d’un canal parisien, alors que parallèlement certains jonglaient comme des clowns, dans la plus grande impunité, avec des balles dont chacune valait le prix de la nourriture quotidienne et du bien être de millions de citoyens qui, dans le monde entier occupent pourtant des tentes et des maisons de fortunes, dont certaines ne sont faites que de bouts de pneus récupérés ?
Et que veut dire le tourisme de plage, le tourisme exotique et même le tourisme urbain des grandes capitales, quand ce type de loisir là se construit sur les débris d’une société traditionnelle où l’entraide et le partage étaient intrinsèques ?
Une forme de tourisme qui rejette à proximité tous les laissés pour compte de cette disparition, voire en les intégrant cyniquement comme des éléments de décors de la visite exotique ?
Je crois que c’est contraint et forcés que ceux qui décident aujourd’hui de sauver les riches inconséquents, selon des modèles anciens, dans l’idée que cela sauvera aussi les plus pauvres, auront à se tourner vers les valeurs comme celle du partage citoyen !
Les itinéraires culturels ont ceci de merveilleux c’est qu’ils décrivent en effet une topographie actuelle, superposée à un ensemble de topographies anciennes et qu’ils aident à en comprendre les relations, par transparence.
Dans le centre historique de Tours, la Tour Charlemagne ou la Tour de l’Horloge sont les seuls témoignages encore dressés d’une ancienne basilique abandonnée à son sort après la Révolution. Parallèlement, la Basilique saint Martin, néo-byzantine, construite par Victor Laloux à l’aube du XXe siècle, au temps de la naissance de la cathédrale laïque que constitue la Gare d’Orsay, représente de tout son poids une religion qui reprend sa place, sans bien avoir compris pourquoi elle a été, un siècle avant, rejetée avec une telle violence aveugle.
Ces topographies là ne sont pas simplement les parcours matériel d’un itinéraire spirituel, ils sont les supports de l’explication des va et vient de ce qu’à voulu dire la spiritualité. Elles nous proposent de réfléchir aux formes inattendues qu’elle peut prendre aujourd’hui.
La cathédrale saint Gatien et le cloître de La Psalette nous ont également accueillis pour une réunion de réflexion sur l’issue touristique des itinéraires culturels dans la cadre d’un Groupement Européen d’intérêt économique, une issue sous forme de produits qui seront fondés sur des valeurs sociales.
Et cette réflexion engagée à Tours, au moment où la crise économique prend malheureusement seulement ses marques, puisqu’elle ne fait que débuter, oblige à un sens de responsabilité très particulier tous les responsables des itinéraires réunis là.
Photographies : la maison du “Curé de Tours”, vicaire de la cathédrale Saint Gatien, personnage de Balzac et le cloître de La Psalette