Une belle année pour la musique, contrairement à ce que les têtes de con refusant d'écouter quoi que ce soit post-1969 s'entêtent à réfuter depuis, euh, 39 ans donc (si vous êtes l'un d'entre eux, je ne m'excuse pas). Quelques révélations, quelques comebacks, quelques très bons disques de routine, de l'expérimentation là où on ne l'attendait pas… Pas de Burial ni de M.I.A., mais on composera avec Portishead et MGMT. Revenons un peu sur tout ça.
1. Q-Tip - The Renaissance
Pour que je vienne caler un disque de hip-hop en tête de mon classement de fin d'année, faut vraiment qu'il y ait du niveau, peu importe à quel point je semble chérir le genre à travers mes écrits. Jusqu'à la sortie du dernier Tip, j'aurais sans doute offert la tête du podium, un peu blasé il est vrai, à Bon Iver ou Erykah Badu. En quoi donc cette sortie proprette de 12 pistes pas même garnies d'un bonus peut se targuer de surclasser la plus grande révélation folk de l'année et la folie engagée du quatrième acte de l'unique authentique diva actuelle ? Eh bien, pas mal de facteurs entrent en jeu, le principal restant le calamiteux état actuel de la scène hip-hop. Le sud règne et démocratise sa médiocrité, les Roots se retirent pour une durée indéterminée, les Outkast ne semblent pas pressés de donner suite à Idlewild, Kanye West s'éloigne du coeur du genre, Dre retarde Detox à n'en plus finir… lorsque d'entre les morts surgit un Q-Tip dont on n'avait quasiment pas entendu parler depuis Amplified (1999).
Toujours aussi efficace à la production, il parvient à retranscrire la vibe 95 bpms pourtant réputée inimitable des Tribe Called Quest et y adjoint un soupçon de modernisme, épaulé d'un beat en deux mouvements de feu J Dilla, le seul beatmaker invité, et de quatre des plus belles voix de la musique à savoir Raphael Saadiq dont nous évoquerons le récent solo plus bas, D'Angelo et Norah Jones, toujours aussi bons, et Amanda Diva, membre des Floetry. Les textes, comme d'accoutumée chez les Native Tongues sont impeccablement écrits, mais c'est ici l'incroyable travail d'interprétation qui prévaut. En effet, après 18 ans dans le rap, le coton-tige reste en pleine forme et son sens du rythme ne va qu'en s'améliorant ; c'est une légende qu'on tient là : ses petits cris sur Gettin Up font directement écho aux adlibs de James Brown, dont j'ai réécouté le fameux Live At The Apollo juste avant de me lancer sur The Renaissance, qui tient étonnamment sans souci la comparaison. Son flow est posé, rapide mais clair, n'agresse pas le moins du monde… En bref : The Renaissance, c'est ma drogue. Move en est à 57 lectures sur iTunes, et We Fight-Love à 48 ; je l'écoute le matin, la journée, le soir, y pense en m'endormant… et il me manque quand je ne l'ai pas. Maintenant, allez l'ACHETER. Avec de l'argent. Un disque qui salue Herbie Hancock sur la pochette, de toute façon, ça n'a pas de prix.
2. Bon Iver - For Emma, Forever Ago
Enregistré d'une traite par un homme seul, retiré un trimestre “pour hiberner” dans une cabine au fin fond des plaines du Wisconsin. Rarement je fus autant touché que par cette voix langoureuse, située entre celle douce et évanescente de Thom Yorke et l'autre plus rugueuse et instable de Rufus Wainwright, par ces arrangements fabuleux de simplicité, fuyant comme la peste la prétention… un disque incandescent, destiné à ceux qui chérissent l'hiver pour la beauté de ses nuits et aux clostrophiles. En somme, à tous les gens assez normaux pour ne pas l'être.
3. Erykah Badu - New Amerykah Part One (4th World War)
Plus le temps passe, plus je me demande si ce quatrième album n'est pas celui de la maturité pour Badu. Après un album culte jazzy, un second moins encensé mais plus abouti orienté soul classique et un troisième sophistiqué et expérimental, la belle aux yeux verts nous livre une sorte de patchwork idéal où rien ne fonctionne totalement, depuis l'ambiguïté des paroles jusqu'aux arrangements on ne peut plus improbables provenus d'optiques plus larges que les grands Madlib, 9th Wonder, James Poyser, Karriem Riggins, Sa-Ra et ?uestlove ne permettent réunis d'espérer. Un requiem, une ballade, un hymne et un hommage sont sur un disque de onze pistes. Ils ne tombent pas, mais se bousculent très fort et résonnent.
4. Fleet Foxes - Fleet Foxes
Prenez un orchestre hybride moyennageux-rock folk, un chanteur à la puissance et à la gaité LSDesque assez impressionant pour rappeler simultanément le meilleur des Beatles et des Simon & Garfunkel dès les premiers instants, et faites leur interpréter des récits largement cathartiques parvenant à transmettre une émotion rarement atteinte en dépit de leurs fréquents manques de crédibilité. Le produit se veut l'un des uniques débuts majestueux du siècle, assez intègre pour illustrer sa jaquette d'une peinture de 1559, champêtre, intemporel, naïf et totalement nécessaire.
5. Portishead - Third
Leur meilleur tout simplement, surclassant jusqu'au fantastique Dummy. Chaque piste inspire une situation, un décor, une atmosphère, les inflexions torturées de la trop rare Beth Gibbons, dévoilant ici les plus délicieux (comprenez déprimants donc réjouissants) de ses atours n'y étant pas étrangères. L'art-rock (en effet, je ne pense pas qu'on puisse encore parler de trip-hop) à son meilleur, tutoyant avec un brin de condescendance les Vespertine et autres OK Computer.
6. The Roots - Rising Down
Huitième album et toujours aucune baisse de créativité à reprocher au collectif de Philadelphie. Valant surtout pour ses compositions sombres et rèches, l'enregistrement ne faillit toutefois pas niveau textes, cette fois extrêmement politisés… Mos Def et Black Thought n'ont jamais autant honnoré leurs pseudonymes. Sans doute leur essai le plus complet (Chrisette Michele…) depuis Phrenology, et le plus abouti depuis Illadelph Halflife.
7. MGMT - Oracular Spectacular
Malgré toute la hype qu'ils ont reçu, les MGMT ne constituent à mon avis pas qu'un simple effet de mode. Ils sont jeunes, doués et un poil dingues, et ont tout de même réalisé le seul album capable de justifier le mouvement rétro-psyché depuis des années. Oracular Spectacular est varié, détient un courage absolument réjouissant et une honnêteté à la limite de l'hilarant. Entrer dans l'industrie avec Time To Pretend, il fallait OSer, avec un grand os.
8. Duffy - Rockferry
“Don't you be wasting all your money on syrup and honey, cause i'm sweet enough” avise la jeune anglaise à la pierre angulaire de l'album. Qui pourrait lui donner tort à l'écoute de son premier disque, hommage brûlant aux sixties ? Tandis que sa seule voix semble constituer un appel à talents (absolument aucune personnalité de la blue-eyed soul n'est à ce niveau aujourd'hui, ni Winehouse, ni Stone, ni quiconque), ce sont les superbes arrangements qui retiennent l'attention, rompant radicalement avec la platitude généralement associée au genre. I Never Loved A Man The Way I Love You, version 2008.
9. Shearwater - Rook
Sublime, sublime, sublime. On y trouve une sorte de jeu entre l'orchestre et le vocaliste : là où les arrangements classiques ou minimalistes s'engoncent parfois dans leur manque d'audace, la voix de Jonathan Meiburg relève totalement le niveau, et vice-versa. Le disque ne manque pour autant pas de variété puisqu'on a droit aux traditionnelles ballades monocordes (n'y voyez rien de péjoratif cette fois) aussi bien qu'à des essais post-modernes exclusivement instrumentaux, employant pour seuls sons une batterie de crissements métalliques. Notez que l'étrange groupe, composé entre autres d'un couple divorcé, en est à son sixième essai et offre outre une passion obsessionnelle pour les ovipares une discographie que je devine éclectique.
10. Kanye West - 808s & Heartbreak
Oui, 808s & Heartbreak a divisé les foules. Non, il n'est pas à la hauteur du potentiel de West ni ne révolutionne le moins du monde la musique populaire (puisque qu'on peut désormais élargir au-delà du hip-hop). Oui, il est totalement indispensable de l'écouter car il accomplit musicalement ce que nombre d'artistes actuels ne pourraient se targuer même d'espérer. Non, je ne fus pas aveuglé par ses trois premières sorties. “You need to stop it now…”
11. Fennesz - Black Sea
J'estime que les albums d'ambiant constituent de facto les plus difficiles à chroniquer, d'autant plus que Fennesz n'a pas pour habitude de recourir au moindre instrument traditionnel. Ainsi, je vais vous rapporter mes impressions de synesthète occasionnel : c'est un enregistrement au fond bleu-gris, creux et cylindrique qui s'élargit au loin, avec des bords blancs et de larges aspérités gris sombre. Les yeux fermés, on imagine un monde ravagé, sale et technologique, qui sent le métal, un matin d'hiver. Prises une à une (en dehors de l'incroyable conclusion), ses pistes ne consistent qu'en autant de tableaux impressionnistes. En tant que tout, elles créent un monde cohérent et passionnant, qui distille ses richesses au fil des écoutes. Ceux qui apprécient devraient également se procurer son Endless Summer, paru en 2001 et tout aussi réussi.
12. Beck - Modern Guilt
Beck, je n'en avais encore jamais entendu parler jusqu'à ce que Nathaniel 'wastes our money for fucking Beck' Fisher n'en écoute dans Six Feet Under ; l'idée de me procurer sa discographie n'a pas quitté mon esprit depuis lors et j'ai naturellement profité de ce classement pour me procurer son cru 2008 et pourquoi pas lui offrir une entrée. Ca n'a pas manqué : l'aura du musicien sur Modern Guilt impressionne des les premières secondes. Les pistes sont violentes et s'achèvent brutalement, sa voix (son flow ?) atypique semble glisser sur les compositions, extrêmement complexes. A noter la présence de DangerMouse aux côtés de l'artiste à la production. Une écoute indispensable, qui ne tardera assurément pas à être comparée à ses prédécesseurs.
13. The Do - A Mouthful
Définitivement l'album le plus surprenant de 2008 à mes yeux, puisque je n'en attendais rien d'autre qu'un mille-et-unième LP indie rock français surfant sur la vague cute/childhood enclenchée il y a quelques années. Au final, je me suis retrouvé face à un disque aux facettes émotionnelles nombreuses, complexes et disposées à la perfection. Les arrangements sont absolument tous superbes malgré leur hétéroclisme, recherchés et épurés juste ce qu'il faut, la voix fragile d'Olivia Merilahti venant les étoffer d'une puissance relativement disproportionnée au vu de son calme presque constant. Déconcertant, A Mouthful s'impose en comme l'album français incontournable de ces douze derniers mois, incontestablement.
14. Jazz Liberatorz - Clin d'Oeil
La production live s'avère ici tellement géniale qu'elle me laisse espérer un nouvel âge d'or du rap conscient, rien que ça. Clin d'oeil est tout simplement le meilleur disque de jazz fusion de ces dernières années, évoquant non sans complicité les légendaires Jazzmatazz du grand Guru. Le hip-hop y cotoie la soul sans définir de frontière nette et offre ainsi son essence même, à savoir la beauté éloquente des musiques traditionnelles et les horizons lointains des passions et contes personnels.
15. TV On The Radio - Dear Science
Comment pourriez-vous être passés à côté de TV On The Radio en 2008 ? Hm, vous ne pouviez simplement pas, et ça m'évite ainsi d'avoir à présenter le groupe qui squatte la première position de la plupart des classements de fin d'année des magazines spécialisés. Mon avis sur ce qui les rend si géniaux ? Ils incarnent plus ou moins l'inverse de ce qu'on attendrait d'une bande rock classique : touche-à-tout façon Gnarls Barkley, les brooklynois piochent depuis la soul jusqu'au hip-hop sans oublier la désormais indispensable touche électro et ne s'en créent qu'une étiquette plus personnelle. Dear Science, onze pistes, onze genres, onze hits en puissance. C'est aussi simple que ça.
16. Raphael Saadiq - The Way I See It
Quel plaisir de voir qu'il y a encore des artistes assez intelligents pour saisir la capacité du R&B authentique et l'exploiter ! A l'écoute de The Way I See It, on ne pense Dieu merci pas à Chris Brown, à T-Pain, ni même à R. Kelly, mais plutôt à Al Green, à Curtis Mayfield et aux Supremes… Ai-je besoin d'en ajouter ?
17. The Music Tapes - Music Tapes For Clouds & Tornadoes
Un album sorti en 2008, enregistré en indépendant avec des instruments d'avant-guerre, qui parvient à instaurer cette même ambiance inquiétante et hypnotique qui émane des films en noir et blanc absolus à travers des chansons surréalistes, mal interprétées et exploitant le lyrisme à son paroxysme tout en parvenant, paradoxalement, à toucher l'auditeur parfois au plus profond de son âme, je ne pense pas que ça se reproduira avant deux ou trois civilisations.
18. Lykke Li - Youth Novels
Je fis une énorme erreur lors de ma chronique originelle de Youth Novels en confondant conformisme et cohérence, reprochant à l'album de souvent s'égarer et de ne finalement compiler que quelques bonnes chansons avec plus ou moins autant de déchets. Quel énorme doigt dans l'oeil ! Alors que Dance, Dance, Dance monopolisait probablement mon esprit, je passais à côté des morceaux suivants, qui ne lui ressemblent pas réellement mais se révèlent en fait tout aussi bons - voire carrément meilleurs. Li dévoile une personnalité charmante, certes différente de celle enfantine du single précédemment évoqué, mais tellement plus excitante ! Il n'y a pas sur Youth Novels une seule piste qui ne révèle au moins un élément inattendu, pas un morceau qui ne prenne l'auditeur de court à un moment donné. Likke, l'un des plus grands potentiels apparus en 2008. Cette fille peut devenir gigantesque.
19. Gnarls Barkley - The Odd Couple
Cela fait désormais huit mois que le disque est paru, et à peu près autant qu'il tourne chez moi. Pas une semaine sans que j'écoute Who's Gonna Save My Soul, pas un jour sans que je passe devant la pochette sur mon iPod sans me dire “quelle bombe quand même…”. La production de DangerMouse, qui vient pour la seconde fois s'inscrire dans le classement, a saisi toute l'intensité des musiques des seventies, de ce son que j'ai bien envie de qualifier d'en technicolor, tandis que la voix de Cee-Lo complète le travail. Définitivement un grand album dont j'aimerais connaître l'évaluation consensuelle d'ici quelques années, venant compléter le tryptique revival 2008 entamé par Duffy et Saadiq. “I don't have any friends at all, cause I have nothin in common with y'all” dirent-ils, de la dérision plein la voix.
20. Blue Sky Black Death - Late Night Cinema
Mon premier coup de coeur de l'année. Instrumental de bout en bout, Late Night Cinema ne trahit pas son nom en mutant rapidement, malgré ou grâce à quelques maladresses au niveau des percussions, en une expérience ambiant plutôt qu'un sempiternelle collection de beats. Une piste, une scène, malheureusement mal coordonnées… et c'est ce qui plombe légèrement la replay value de l'album. A écouter attentivement une fois, puis en fond musical afin de ne pas découvrir trop vite les ficelles le régissant.
+. Aller au delà
The Walkmen livrèrent avec You & Me un très bon cru folk quoi qu'un peu abusif sur les power chords, le self-titled de Nas aurait pu obtenir une entrée dans la liste amputé de ses quatrième et cinquième pistes, le troisième N*E*R*D n'était pas si mal finalement même s'il échouait à canaliser les montées de testostérone du groupe, le Grey Hairs de Reks, très return of the boom-bap dans l'esprit, manquait d'originalité mais serait devenu indispensable à l'époque Blueprint/Stillmatic, l'Eppisode 1 de Stacy Epps (d'où le double p), malgré l'évanouissement de son charme au fil du temps, vint s'inscrire dans les valeurs sures de la nu-soul de 2008, accompagné de l'album sans titre de Santogold (dans une certaine mesure le Kala de cette année) et du Leave It All Behind des discrets Foreign Exchange, pendant qu'Afta-1 accomplit du très bon boulot niveau hip-hop instrumental sur son Aftatoughts Volume 1 et qu'Amadou & Miriam se montraient à la hauteur de leur succès avec un Welcome To Mali naïf et sympathique, succédant au surmédiatisé Dimanche à Bamako. The Cool Kids détient sans doute l'enregistrement hip-hop le plus enjoué de 2008, minimaliste et très dansant. Le légendaire 88-Keys, associé à Kanye West produit l'un des meilleurs disques de rap storyteller que je connaisse avec son Death of Adam, très appréciable mais malheureusement trop succint et académique dans la construction. A ne pas écouter avant 18 ans ! Les quatre sorties de Madlib se révélèrent intéressantes, en particulier son album de bossa nova intitulé Sujinho, réalisé en collaboration avec le batteur d'Azymuth, un groupe brésilien apparemment renommé là-bas ; pas de dédoublement de personnalité cette fois-ci si ce n'est au niveau de l'alias (Jackson Conti - les noms de famille des deux musiciens). Très belle pochette. Les Vampire Weekends débutèrent leur carrière sur un album décomplexé qui me rapelle furieusement les Beach Boys sans que je sache pourquoi tandis que The Dreamer révèle en Jose James une nouvelle grande voix de ce siècle. L'album d'Al Green associa à des sonorités très actuelles la voix de la dernière grande icône de la soul classique et connut quelques belles performances de la part de John Legend et Anthony Hamilton, ce dernier entrant probablement en lice pour le Rock'n'Roll Hall of Fame. Detroit impose sa présence, succédant à Chicago en tant que repère de nouveaux talents : J Dilla produit à titre posthume l'album de son frère Illa J, très proche de la période Slum Village du génie producteur et les authentiques hipsters de The Knux deviennent un nom supplémentaire à surveiller, leur Remind Me In 3 Days dévoilant une réelle étincelle artistique. Aussi, j'ai eu de très bons échos quant aux sorties de Sigur Ros et M83 mais n'ai pas eu la chance de les écouter.
Merci d'avoir lu, j'attends les réactions, et pourquoi pas les suggestions au cas où j'aurais raté quelque chose !