Tepepa
1968
Giulio Petroni
Avec Tomas Milian, Orson Welles, John Steiner
Les révolutions passent, et l’armée en gris continue d’aboyer sur les pauvres péons. Tepepa (Tomas Milian) le voit bien, lui qui a dû rendre les armes devant cette armée honnie, alors pourtant qu’il avait gagné la révolution. Au moment précis où il allait se faire fusiller, l’européen de service (tiens un anglais cette fois (John Steiner, pas vraiment à la hauteur d’un Franco Nero ni même d’un Lou Castel, mais à la maigreur intéressante)) le tire de là au moment fatidique (« apunten armas », ou quelque chose du genre) pour mieux le descendre lui-même. C’est que le sieur Tepepa a violé sa donzelle quelques années auparavant, et que celle-ci s’en est suicidée. Vengeance oblige donc, le docteur anglais sort son Mauser pour flinguer le révolutionnaire, mais s’en trouve empêché pour cause de poursuivance gouvernementale. Petit à petit, l’anglais va apprendre à apprécier Tepepa pour le dévouement qu’il porte à sa cause et va commencer à douter de sa culpabilité.
Film politique écrit par Franco Solinas (qui a scénarisé tous les westerns étiquetés de gauche : El chuncho, Colorado, El mercenario), démonstratif au point d’en être légèrement pesant, Tepepa est un vrai western Zapata de gauche pur et dur et – semble-t-il – sans distanciation ironique autre que la conclusion. L’armée régulière massacre, mutile, exécute les révolutionnaires et brule les villages. Les propriétaires terriens fouettent et exploitent les péons, les hommes au pouvoir bafouent les idéaux de la révolution. Dépossédés de leur simple droit à un petit lopin de terre, les hommes prennent les armes et d’une manière générale, perdent. La musique d'Ennio Morricone portée par des envolées ressemblant énormément à celles de Bruno Nicolai (d’ailleurs c’est lui qui a dirigé l’ensemble) ne prend non plus aucune distance ironique et souligne parfaitement la dramatique destinée de l’entreprise révolutionnaire, sans chercher à créer un quelconque lyrisme exaltant la beauté des idéaux : on se bat parce qu’il n’y a plus le choix.
Donc, ça ne rigole pas, et l’intrigue parallèle, la petite histoire qui veut rejoindre l’Histoire, n’est pas là pour faire marrer non plus, en jouant cette fois dans la cour du tragique flamboyant. « Qu’est ce qu’une femme, comparée à la révolution ? » pourrait être la phrase résumé du film, mais c’est tout le point de vue misogyne précédant cette phrase qui révèle un Tepepa antipathique, non limité à sa dimension de héros. Chaque personnage suit donc les traits propres à sa classe : Tepepa sauve son peuple, mais il massacre et viole comme un vulgaire bandit, l’Anglais sauve des vies et suit un bel idéal héroïque personnel (très prisé à notre époque individualiste), mais bien qu’il ait une certaine admiration pour Tepepa, il méprise profondément la race inférieure du Mexique (voir la scène initiale où les péons poussent sa voiture, et la conclusion finale du gamin Paquito, qui fait écho à sa première rencontre avec l’anglais, et prouve que le film n’a pas été écrit avec les pieds). Les péons sont présentés comme une masse facilement exaltable (voir la harangue de Tepepa après le massacre du village), animé d’un bel idéal révolutionnaire, mais le péon individualisé n’hésite pas à trahir sa cause quand le besoin devient trop insupportable (José Torres, sans les mains, que l’on a toujours plaisir à voir). On pourrait donc presque dire qu’en façade le film arbore un discours prorévolutionnaire appuyé, mais que par derrière, Franco Solinas a voulu démontrer que les hommes n’échappent pas à leur caricature (le révolutionnaire est un bandit, le médecin est une élite méprisante, le péon est un lâche). Alors, sous son discours politique, le film, qui fait écho à la physiognomonie, cette pseudo-science qui prétend reconnaître la personnalité aux traits du visage, thèse naturellement réfutée par le docteur anglais, chercherait-il finalement à la remplacer par un énoncé identique qui verrait l’appartenance de classe substituée aux traits du visage? Cela semble d’autant plus plausible, que le colonel Cascorro (Orson Welles, qui bougonne, maugrée et soupire avec ses yeux à la Garfield), lui, joue le méchant de première avec application, mais avec une lucidité et un recul qui fait qu’il n’est dupe, ni de son statut, ni de l’issue de ces massacres incessants. Il est le seul qui semble assez intelligent pour ne se prêter ni à des idéaux utopistes, ni à des idéaux individualistes bornés, ni à une obéissance aveugle à un quelconque régime, mais il n’en continue pas moins à jouer son rôle, comme s’il en était prisonnier. Le petit gamin qui à la fin devient un authentique révolutionnaire, le seul vrai personnage qui échappe aux travers de sa propre caricature pour n’en conserver que l’aspect pur et positif, peut sembler contredire cette analyse purement spéculative, pourtant la scène finale, qui voit Paquito chevaucher avec ses hommes avec une image de Tepepa en surimpression fut paraît-il une source de conflit entre le réalisateur Giulio Petroni et le scénariste qui détestait la scène, car il ne l’avait pas écrite, comme si Petroni avait voulu donner une fin plus jolie, moins désespérée à son film, avec une image plus « romantique » de la révolution. Ainsi, si Tepepa semble traiter son sujet avec sérieux, on constate déjà un point de vue amer sur l’idéal révolutionnaire, qui sera développé plus tard avec ironie dans d’autres westerns Zapata tels que El Mercenario, Companerosou Il était une fois la révolution
Mais voilà, je vous barbe avec une analyse tarabiscotée, et vous vous demandez encore si le film vaut le coup d’être vu. Réalisé par Giulio Petroni (La mort était au rendez-vous), le film est bien sûr tourné de manière très professionnelle, sans détails foireux, avec des moyens conséquents, une très belle utilisation des paysages almeriense, des morts partout, des soldats mexicains qui virevoltent, de la dynamite en veux-tu en voilà, Tomas Milian qui joue sérieusement sans (trop) cabotiner, une musique d’Ennio Morricone qui n’est pas sa meilleure mais qui tient le coup quand même, quelques scènes incongrues bienvenues (l’anglais dans le lit de la femme du geôlier), Orson Welles qui est une incongruité à lui tout seul, des flash backs au ralenti avec une femme qui court et qui pourrait vous faire croire que c’est pompé sur les flash back d’Il était une fois la révolution, sauf qu’une fois de plus, le film lui est antérieur (au point que je commence à me demander s’il y a quoi que ce soit d’original dans Il était une fois la révolution…), bref, c’est du bon, allez-y foncez, mais attendez un peu que Wild Side nous le sorte en français, au lieu de le regarder en anglais comme je l’ai fait.
Où le voir ? Je viens de vous le dire, faut attendre encore un peu…