...aujourd'hui, la suite d'un texte commencé là, et tellement de difficulté pour écrire, et tellement l'envie de le faire pourtant. Besoin de silence, de concentration, de solitude. Le texte ci-dessous ne date pas d'hier...
Le tout premier regard posé sur toi.
Un regard de mère.
Je venais de donner naissance à Tom. Rien d’autre ne comptait alors pour moi que ce petit corps chaud, doux et odorant, nouveau, dépendant exclusivement de ma chaleur, et qui s’accrochait de ses petits ongles fins à ma peau.
Nous étions tous les deux face à face, chacun dans notre box, séparé par une vitre, un nourrisson frêle collé contre notre poitrine.
8ème étage. Porte Sud. Service des prématurés.
J’ai tout de suite remarqué les cheveux de ton fils, dressés sur sa tête minuscule, comme un point d’interrogation, puis mes yeux ont suivi la courbe de tes doigts, le mouvement de ta tête, penchée sur le souffle de ton enfant, attentif.
J’ai pensé à l’absence du père de Tom, à la sensation de bras contre ma poitrine, à la chance de cette femme, la tienne, pouvant enfouir sa tête dans ton cou. Tu avais l’air si doux. C’est ce qui m’a frappé, dès les premiers instants, cette douceur infinie qui se dégageait de chacun de tes gestes.
Et puis j’ai oublié ta présence.
Une sonnerie stridente a retenti, troublant mon corps d’une onde de terreur. Tom gémissait doucement contre mon sein.
L’alarme des biberons automatiques.
Tom avait fini son repas. Le tuyau qui le nourrissait était vide.
Une infirmière est venue, diligente et efficace, éteindre l’engin perturbateur. Le bruit s’est arrêté net. Un silence pesant a suivi le vacarme, et une impression douloureuse de solitude a pris toute la place. Je n’avais plus qu’un seul regret, ne pas avoir profité du bruit pour hurler.
Je n’étais pas certaine de pouvoir m’habituer à ça, à cette déshumanisation de tout, à notre impudeur, à l’inutilité de nos corps las. (...)