En cette période de l'avent précédent la célébration de Noël, je souhaitais partager cet article de Jean-Louis Tremblais, paru sur Le Figaro, le 19 Décembre 2008 à propos de l'Ordre du Saint Sépulcre de Jérusalem :
Issu des croisades, reconnu mais méconnu, l'ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem perpétue la tradition des chevaliers du Moyen Age : protéger et soutenir les chrétiens de Terre sainte. L'épée d'antan ne sert plus qu'aux cérémonies d'adoubement. Aujourd'hui, la vocation de l'Ordre est essentiellement religieuse et caritative.
Ils sont une trentaine de Français, hommes et femmes, à se frayer un chemin dans la vieille ville. Pas facile, en ce dimanche 19 octobre : les juifs célèbrent Sukkot (la fête des cabanes), l'un des trois festivals rituels de l'année. L'ambiance est à la ferveur. De noir vêtus, en famille (nombreuse), les ultra-religieux du judaïsme ont investi Jérusalem et se dirigent vers le Kottel, ou Mur des lamentations. Nos compatriotes, eux, habillés en touristes lambda, se rendent à l'église Sainte-Anne, afin d'y visiter la piscine probatique et le sanctuaire d'Esculape. C'est l'une des étapes de leur pèlerinage en Terre sainte. Ils appartiennent en effet à l'un des deux ordres de chevalerie issus des croisades toujours actifs : l'Ordre Equestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem (le second étant l'Ordre de Malte). En tant que tels, ils sont tenus d'effectuer ce pèlerinage au moins une fois tous les dix ans, mais certains le font chaque année.
Voilà une semaine qu'ils sont arrivés. Désert de Judée, mer Morte, lac de Tibériade, Capharnaüm, Nazareth, aujourd'hui Jérusalem, demain Bethléem : un périple qui suit les traces du Christ. L'un de ces chevaliers, Jacques Saint Georges Chaumet, explique : «Nous vivons ce pèlerinage comme une montée vers Jérusalem, et notamment vers le Saint-Sépulcre, là où se trouve notre enracinement de chevaliers.» Le Saint-Sépulcre ! Tour à tour menacé, contesté ou disputé, c'est le saint des saints. Le lieu emblématique du christianisme. Jésus crucifié, enseveli, ressuscité. Le but de la première croisade, celle de Godefroy de Bouillon, en 1099. Une référence historique que les chevaliers contemporains souhaitent relativiser même si leur devise reste «Deus lo vult» (Dieu le veut, le slogan des croisés). Amnésie diplomatique ou volonté d'apaisement ?
«Ni l'un ni l'autre, réplique Renaud de Villelongue, autre chevalier pèlerin. Les faits, tout simplement. Certes, dès l'installation du royaume franc de Jérusalem, de jeunes nobles furent armés chevaliers dans l'église du Saint-Sépulcre. Une démarche autant spirituelle que militaire. En ce sens, Godefroy de Bouillon, premier de ces rois francs, ne nous est pas complètement étranger. La chevalerie dans son ensemble puise son idéal dans ces adoubements originels. Mais notre Ordre s'est véritablement constitué, sans fondation officielle, vers 1336, après la récupération du Saint-Sépulcre par les chrétiens. Il fut ensuite réformé et refondé en 1847 par Pie IX, qui rétablit le patriarcat latin (diocèse catholique) de Jérusalem. Il reçut alors une mission concrète de soutien moral, spirituel et matériel aux communautés chrétiennes de Terre sainte.»
Mission qui est encore la sienne. Ses statuts actuels, approuvés par Paul VI en 1977, précisent qu'il «se trouve sous la protection juridique du Saint Siège» et «jouit de la personnalité juridique». Nommé par le pape, le cardinal John Patrick Foley est Grand Maître de l'Ordre. Le grand prieur en est le patriarche latin de Jérusalem, Monseigneur Fouad Twal. L'ordre du Saint-Sépulcre compte environ 25 000 membres dans 44 pays du monde. Il est organisé en 52 lieutenances, nationales ou régionales (selon l'importance du pays). Ainsi, la Lieutenance de France regroupe quelque 800 personnes, hommes (les chevaliers, qui sont adoubés) et femmes (une centaine de dames, qui sont investies). Depuis novembre 2008, elle est dirigée par le général Bernard Fleuriot (qui remplace Son Excellence André Damien), assisté d'un grand prieur, Mgr Jacques Perrier, évêque de Tarbes et de Lourdes.
Une quarantaine d'impétrant(e)s sont adoubés ou investi(e)s chaque année, au printemps, à Notre-Dame de Paris (en 2009, exceptionnellement, la cérémonie aura lieu à la cathédrale Saint-Louis de Versailles). Des laïcs pour l'essentiel (même si quelques prêtres appartiennent à l'Ordre), pas forcément nobles mais dont la catholicité a été éprouvée et vérifiée. Précédée de trois jours de retraite avec Mgr Jacques Perrier, cette cérémonie imposante et solennelle rassemble toute la communauté. Les chevaliers s'y présentent avec leur manteau blanc, frappé de la croix de Jérusalem (une croix centrale à branches potencées, entourée de quatre croisettes : les cinq plaies du Christ au Golgotha). Ce manteau (dans lequel les chevaliers se font enterrer, comme dans un linceul) est béni par le grand maître de l'Ordre. «Ce sacramental très codifié possède une dimension spirituelle, témoigne Renaud de Villelongue. N'y voyez pas d'ostentation. Il célèbre la gloire de Dieu, pas la nôtre. On ne peut pas se permettre d'entrer dans l'Ordre sans être en phase avec l'Eglise ni faire allégeance au pape. Nous avons également la garde des reliques de la Passion à Notre-Dame de Paris (la couronne d'épines rachetée en 1236 aux Byzantins par Saint Louis, un fragment de la Croix et un clou, ndlr) présentées à l'adoration des fidèles le premier vendredi du mois, les vendredis de carême et le vendredi saint. Mais il ne faudrait pas réduire notre activité à ces manifestations, même si elles sont plus visibles que les autres.»
Car la participation à ces liturgies n'est que l'un des trois objectifs de l'Ordre. Les deux autres sont l'approfondissement et la propagation de la foi (prières, messes, retraites, récollections, pèlerinages, conférences), et surtout l'aide aux chrétiens de Terre sainte (150 000 âmes, réparties entre Israël et les territoires palestiniens). Financée par les cotisations des membres et des sympathisants, par des dons ou des legs, cette oeuvre caritative s'exerce dans plusieurs domaines. «Avec 450 000 euros annuels, la Lieutenance de France est le quatrième contributeur mondial (après les Etats-Unis, l'Italie et l'Allemagne), détaille Jacques Saint Georges Chaumet. Cet argent est vital : 90 % du budget du patriarcat émane de l'Ordre. C'est l'une des différences avec l'ordre de Malte : nos confrères ont un rayonnement planétaire. Nous nous concentrons sur la Terre sainte. Dans les faits, il s'agit de soutenir matériellement 64 paroisses, 41 écoles dans le patriarcat latin (19 000 élèves), des crèches, des dispensaires, des maternités, des hôpitaux, des séminaires, des communautés religieuses. En Palestine comme en Israël. Cette aide bénéficie à tous, quelles que soient les origines et les confessions.»
Un exercice d'oecuménisme assez délicat dans une région où l'heure n'est pas vraiment au dialogue intercommunautaire. Bouclage des territoires, barrière de sécurité, contrôles et barrages, montée de l'islamisme, exode des chrétiens (la Terre sainte ne compte plus que 2 % de chrétiens, contre 20 % il y a un siècle) : le conflit israélo-palestinien ne facilite pas la tâche de l'Ordre. Une complexité orientale que le patriarche latin, Monseigneur Fouad Twal (un Jordanien de famille bédouine) connaît bien : «Ici, tout est imbriqué, le politique, le religieux, l'économique, le fanatisme. Personne n'a le droit de penser qu'il a la réponse à cette situation, qu'il détient la solution qui apportera la paix.» Dieu reconnaîtra les siens...