Croquis #6
Sur fond de I would be you're slave (parce que c'est vrai).
- 106 (gauche) : grand type châtain, lunettes effilées aux montures grasses et bords verts, rasé de près dont cou lisse, yeux clairs fixés sur les pages défilées d'un Clan des Otori tome II (poche) puis tome III (neuf), gourmette « Sébastien » au poignet gauche, montre opaque et large au poignet droit, fin soupir fatigué puis sommeil intempestif par dessus pages retournées, réveillé-sursaut par contrôleur qui traverse, carte 12/25 oubliée, amende potentiellement remboursable payée CB dans la foulée, t-shirt manches longues beiges sur gris et jean délavé au centre et effiloché au talon, chaussures Adidas de ville au cuir noir aplati et semelles clean impec par dessous, jambes gauche par dessus la droite, pied droit écrasé tordu sur repose-pieds
- 101 (droite) : grand brun aux piercings gauche asymétriques, un lobe puis deux sommets reliés par une barre fine métallique avec arcade gauche percée dans la hauteur, t-shirt noir mi-moulant sur jean neuf bleu nuit, nike air max d'il y a longtemps croisées sur sac Eastpack motifs fleur-camouflage verts et noirs, barbe de trois jours serrée mais souple sur torse qui lui remonte sous la gorge, peau chair de poule sur nuque lisse inclinée, cicatrices sur avant bras gauche intérieur et veines communicantes du coude droit saillantes et serrées sous la peau, mains aimantées à son A marche forcée, édition couverture souple, écriture large, qu'il lit une heure et demie puis referme sous 98 pages, puis mp3-clé usb avec mouvements régulier des doigts, ongles coupés net aux ciseaux, sur genou droit contre les rythmes hip-hop sucrés dans ses écouteurs
Puis de là attraper le pull de l'un pour le glisser dans le compartiment bagages par dessus les sièges et lui marcher accidentellement sur le pied gauche dans la foulée pendant que l'autre s'endort. Les premières neiges apparaissent sur le coup de 14h20, quelque part entre un point A et un point B, puis soleil d'orage couvé en arrivant sur Lyon. La neige il en reste un peu, on l'aperçoit lorsque la voix sans visage nous crépite un terminus qui s'égosille. Premiers mots du type de droite, place 101, qui grogne un ton de brute anesthésiée dans son portable SE puis referme. Se dire qu'après avoir examiné tous les détails de son image, voir sa voix qui d'un coup brise tout le charme emmagasiné ça fait chier. Le laisser sortir par la droite, et moi à gauche. Depuis la gare, attente frigorifiée des six minutes de délais avant arrivée du 5 Terrasse sur les bons rails. Le froid qui s'infiltre entre les deux wagons, pendant que mon sac grince à la jonction, sur la plateforme circulaire qui tourne à la moindre courbe. Les gamins des collèges et lycées en vacances qui sortent en bruit. Image furtive d'un lycée bloquée et puis se dire que plus les retours se répètent ici et plus mes souvenirs directs, mes images mentales, sont liés aux lieux ciblés par Coup de tête, aux faits fictifs qui en découlent, et non aux souvenirs personnels que je peux en avoir. Quelque chose comme de la tristesse derrière ce constat, de la justesse aussi. Tout sonne comme il devrait. Dernier arrêt Passerelle aux sièges presque vides autour, terminus moins un oblige. Portes ouvertes puis fermées : le froid sec et calme d'un décembre habituel, puis la côte trop forte à subir, mes kilos de sac par dessus l'épaule, l'épaule gauche, main droite serrée-coupée sous la bride.