Que veut dire Heidegger quant-il parle de la fin de la philosophie ? Que veut-il dire quant il fait la différence entre philosophie et pensée ? C’est quoi cette question de la technique ?
En fait, la pensée d’Heidegger est un questionnement interminable, la question pour lui est une ouverture d’un chemin, d’un nouvel horizon ; mais le questionnement, n’est jamais neutre, il se fait à travers la réflexion, il ne se limite pas à la mesure d’une science ou d’un savoir précis, ni même à la mesure d’une philosophie, sa pensée est un acte double, simultané de déconstruction et de construction. Il y a une vraie ressemblance entre le questionnement, la réflexion et la marche. On est ici devant une métaphore que nous devrions expliquer : Chemin, marche et pensée ?
Penser c’est comme l’acte de marcher dans une forêt où les chemins ne sont pas sûr « Holzweg », ils peuvent à n’importe quel moment finir dans l’impasse ; mais cela ne veut pas dire que ces chemins sont totalement bouclés, puisque les forestiers et les bûcherons 1 s y connaissent parfaitement dans ces chemins imprévus ; il y a un rapport direct entre ces deux partenaires dans la forêt, les uns fuient les autres tout en sachant comment traverser la forêt. Les deux savent bien ce que veut dire marcher dans ces chemins qui pour eux mènent là où ils veulent ; par contre, ceux qui n’ont pas le savoir et l’expérience de la forêt n’arriveront nulle part, ils ignorent ces chemins. La forêt est donc pénétrable et même facile à traverser par les uns, mais très compliquée pour les autres.
Ainsi est le chemin de la pensée ! Il est plus clair pour ceux qui en ont l’expérience, ils y passent en faisant usage de leurs expériences, cela ne veut pas dire que ces chemins sont faciles pour eux, mais ils ont conscience de son aspect imprévisible. Le chemin de la pensée n’est pas un espace plat et organisé, il est tortueux et appelle à l’attention puisqu’il est imprévisible. Le chemin de la pensée n’est pas clos ou bouclé ; il est plutôt à découvrir, ou pour mieux dire, il est à dévoiler ! Par la force de l’interprétation. L’interprétation n’est pas un simple geste de méditer, il est une force qu’on fait subir à l’être des choses pour le dévoiler. Comprendre, c’est déjà une action violente sur les choses pour qu’elles nous parlent et nous dévoilent ses petits secrets. Le chemin est donc un espace toujours vierge, contrairement à ce que peut être une route bien quadrillée et bien montée, elle n’a rien d’imprévisible.
Pendant que la route nous emmène tranquillement vers là où nous voulons aller et que nous connaissons déjà, le chemin lui, nous livre vers autres choses que nous ignorons mais que nous voulons connaître. Le chemin n’a cette valeur précieuse que dans la mesure où il nous promet des choses imprévisibles, des choses qui seraient la voix ou le visage de ce qui est resté pour longtemps caché, voix et visage de ce que nous pourrons dévoiler par la force que nous faisons subir aux choses pour qu’elles se dévoilent. Le chemin n’a d’importance que pour celui qui en connaît l’importance, que pour celui qui est en quête de quelques choses ! Comme cette forêt où bûcherons et forestiers ont beaucoup de choses à faire et avoir. Le chemin n’est en position de chemin qui ne mène nulle part que pour ceux qui n y ont aucun intérêt. Le chemin de la pensée, n’est pas un chemin bouclé et fermé, il est pour ceux qui s’y connaissent bien une aventure méritée vers quelques choses qu’on devrait faire parler ! Mais le chemin est fermé lorsqu’il y a désintéressement. Le chemin est une affaire d’intérêt ! Cherche-tu quelques choses dans ce chemin ? Alors il est bon pour toi d’y marcher ! Tu n’as rien d’intérêt dans ce chemin ? Alors tu n y trouveras rien !
La pensée est aussi une question d’intérêt et de volonté, on ne pense pas pour penser, mais on pense pour quelques choses que nous voulons atteindre. Le chemin de la pensée est souvent un chemin d’intérêt, sinon, il n’aurait pas cette qualité de chemin, et la pensée est souvent une question d’intérêt, sinon elle n’aurait pas lieu. Penser c’est déjà être impliqué par quelques choses et pour quelques choses. La pensée est souvent motivée par une volonté, une angoisse ou une peur, c’est pourquoi elle est une puissance.
La forêt n’a pas de valeur pour ceux qui n y ont aucun intérêt, mais elle a toutes les valeurs pour ceux qui y ont tous les intérêts ; c’est ce qui fait, que le chemin n’a de sens que pour ceux qui y cherchent. Et c’est ce que nous cherchons qui donne valeurs et sens à ce chemin. Le chemin appelle donc à la marche, et c’est une marche dont l’intérêt est d’explorer, d’agir et d’investir, et de ce fait, la marche n’a préalablement aucune garantie, mais elle prometteuse puisqu’il y a souvent de l’imprévu et de l’intérêt.
L’homme ce berger orphelin de l’être, est obligé de marcher, et donc d’écouter et de faire parler ce chemin qui a l’air muet. L’homme fait donc usage du langage parce qu’il a un dialogue muet, silencieux avec les choses et leur être. Il y a un fort rapport entre l’homme, le langage et l’être des choses, et c’est un rapport plein de violence ! Violence dont la fin est de pouvoir écouter cette voix infra verbale de l’être qui a l’air muet alors qu’il est plein de vacarme et de musique, mais surtout des possibilités infinies de sens. Nous avons l’air d’habiter ce monde, en fait c’est dans le langage que nous habitons ! Ce langage est notre lien avec tout être. Il est notre possibilité et notre tentative de parler à travers nous de ce monde qui parait infini et trop vaste pour le contourner d’un seul geste. Or le langage est aussi un acte d’écoute ! On ne peut pas parler sans écouter. Entre l’écoute et le langage, se tisse le sens de notre comprendre qui n’est qu’un acte de violence, trop risqué, puisqu’il porte avec lui la possibilité de l’errements. Il faut donc savoir écouter, et savoir adresser son langage, pour ne pas faire dériver et confondre ce qui résulte de notre écoute et de notre langage. Il faut tout simplement avoir l’art d’écouter et donc de parler. Il faut apprendre cet art ! C’est seulement de cette façon, que l’homme berger de l’être saura bien garder l’être. Peut être de cette façon, l’homme saura éviter l’excès de sa violence produisant notre face mortelle : La technique !
La fin de la philosophie est donc la fin d’une pensée qui a schématisé le chemin de la pensée, et l’a rendu fade et insignifiant, qui l’a rendu une route ! C’est aussi la fin d’une pensée qui a oublié son rôle d’écouter la voix de l’être, l’ayant réduit au simple exercice d’architecture, de science. En revanche, c’est une pensée vigilante, consciente de son rapport violent avec la métaphysique. La fin de la métaphysique est la fin d’une pensée inconsciente de son statut égaré et éloigné de l’être, inconsciente de la confusion qu’elle fait entre être, étant et Dasein. La fin de la métaphysique est la fin d’une pensée qui n’a pas su ce que veulent dire les chemins qui ne mènent nulle part « Holzwege ». Et par là, elle a réduit la pensée à la science et la technique, et maintenant, elle en souffre ! Consciente de cela, la pensée ne se permet plus cet éloignement, elle appelle à repenser notre destin à partir de sa remise en question de notre chemin, en questionnant l’être des choses, non pas pour trouver le secret ultime, ou les causes finales de notre existence, car il n y a pas de secrets originels, mais pour refonder notre rapport avec l’être.
TRIBAK AHMED
1- Heidegger M. : " Chemins qui ne mènent nulle part " Gallimard, idées.