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La rédaction a décidé d'envoyer un jeune vacataire lire "La décroissance". Le dit journal est sous-titré "le journal de la joie de vivre". Il y en a qui ont de la chance.
Première étape, se procurer les 16 pages. Ca se trouve en kiosque comme on dit. Belle averse à ce moment là, fort heureusement le journal papier a ceci de supérieur sur le numérique, il offre un abri intéressant. Si vous êtes déjà à l'abri, vous pouvez jeter un coup d'oeil à leur site internet.
Je le dis pour M. Poireau, il en coûtera 2,50 € en Belgique, 2 € pour les hexagonaux. Il n'y a pas de publicité : le journal est publié par les Casseurs de Pub, "la revue de l'environnement mental".
La couverture nous montre un Père Noël hébété à qui est adressé un "Casse-toi pauv' con". C'est drôle. Je comprends pourquoi on le voit partout à essayer de grimper aux fenêtres ou aux balcons. Dès qu'il se pointe, une foule de décroissants l'insulte et lui jette ses "cadeaux" à la gueule. Tiens, va falloir penser aux cadeaux justement. Et bien n'y pensez plus.
La rédaction va quand même vous suggérer quelques idées.
"Abonnez-vous ou la planète va mourir !" 19 € pour 10 numéros. Un parapluie presque tous les mois. Sinon vous serez un mort mouillé.
Je commence toujours le journal par la fin. Une nouvelle rubrique féministe démarre justement. "La décolonisation de l'imaginaire que propose la décroissance doit s'ouvrir explicitement à ce que le féminisme peut lui apporter." Yes ! Lien intéressant vers le magazine Sistoeurs sur le net. Pour Noël, offrez des liens.
Des petites colonnes touffues, on se rend vite compte que le souffre douleur attitré est le fameux Yann Arthus-Bertrand. Par excellence, "l'éco-Tartuffe". On nous montre comment "l'hélicologiste" parie sur le CAC 40, comment donc YAB' on la bourse (ça y est, j'ai compris...), YAB' on l'escroquerie. YAB a refusé de signer une pétition contre la Formule 1 : "Je crois au contraire que pour surmonter la crise écologique, nous devons travailler les uns avec les autres." Solidarité avec Schumacher commente le colonniste. De toutes façon, la Terre vue du ciel n'est plus à la mode. Pour Noël, offrez une pétition à signer.
Je ne vais quand même pas tout lire ! C'est qu'il y en a des articles longs, touffus et dont on soupçonne rapidement l'orientation. "Il faut saigner !", 6 colonnes sur les pages 2 et 3. Le Monde Diplomatique, à côté, ça ressemble au journal de Spirou. La thèse est intéressante : "il faut tuer les économistes". C'est un propos de Kalle Lasn, le fondateur d'Adbusters, le Casseurs de pub nord-américain. On nous rassure, c'est une métaphore. Dégonflés ! "Il faut briser cet enfermement dans l'unidimensionnalité économique, dans la moyennisation de la personne humaine et de la société." Pour Noël, relisez Herbert Marcuse. Non, je déconne.
En réalité, je suis tout à fait d'accord avec la démonstration proposée par l'auteur, Vincent Cheynet. "La nouvelle mission des journalistes semble de faire passer les partisans de la décroissance, qui parlent de partage, de sobriété et de ralentissement, pour d'irresponsables "bobos"." Une anecdote : "Au mois de septembre, je discutais avec un ami africain en vacances en France. Il travaille au Zaïre dans une institution qui s'occupe des enfants des rues. Quand je lui ai dit que, d'après les journalistes, la première préoccupation des Français est le "pouvoir d'achat", il a explosé de rire. Confronté à un tel océan de richesse en venant en Europe, cette idée est pour lui incompréhensible." Pour Noël, vous êtes riches, prenez un bain.
On n'a plus l'habitude de la presse d'opinion. "La liste de nos rêves est infinie et la croissance des inégalités est pour nous le signe de la barbarisation." Faudrait pas confondre barbarisme et anglicisme. On pardonne à Cheynet qui exhume une citation de Friedrich Hayek qui ferait blêmir ces pseudos-libéraux qui hantent la blogosphère : "La principale leçon qu'un libéral conséquent doit tirer des succès des socialistes est que c'est leur courage d'être utopiques qui (...) rend chaque jour possible ce qui, récemment encore, semblait irréalisable." Il a piqué la citation dans le Monde Diplomatique ! Il n'allait quand même pas se taper "La Route de la Servitude" ou "Entwicklung der gesetze des meschlichen verkhrs und der daraus fliessenden regeln für menschliches handeln". Vous devriez vous l'offrir pour Noël celui-là. Je suis sûr qu'avant le Nouvel An, ce n'est pas un économiste qu'il y a aura sur votre tableau de chasse mais toute un amphithéâtre.
J'ai bien aimé page 6 "L'écotartuffe du mois" consacré à François Lemarchand, ex-PDG de Pier-Import et fondateur de "Nature et Découvertes". Sophie Divry croque ces boutiques de manière délicieuse : "En fait de nature, on découvre surtout un ensemble de gadgets inutiles made in China, du style libellule en plastique branchée sur un capteur solaire, guirlande de branches de cerisier lumineuse, vaporisateur d'eau de mer, etc. (...) [On] y trouve tout ce que l'Occidental en mal d'exotisme acquiert pour se croire proche des peuples du Sud - savon d'Alep, huile marocaine, pierre d'alun, thé indien... On y trouve une librairie avec des titres écologistes mais uniquement positifs :"365 idée de bonheur pour l'année", "Agenda des petits bonheurs", etc. Tout y est "ethnique" et "authentique", le magasin pue l'encens, une musique doucereuse façon "les voix des Andes" est diffusée jusqu'à écoeurement." Sophie Divry démonte ensuite consciencieusement la stratégie de greenwahsing de l'entrepreneur, 491ème fortune française. Ah ! Oui, vous voulez votre idée de cadeau. Relisez Tristes Tropiques ou offrez un mouchoir usagé de Scarlett Johansson.
Il y a encore beaucoup d'autres choses. Une double page sur le pic du pétrole, une page sur l'orwellisation des médias, plein de petites brèves fort instructives en marge de chaque page (qui sont parfois relevés dans d'autres journaux... ). Un joli article, "La Course à la pub", sur le Vendée-Globe signé Michel Blain. Il note que "on a appris (...) qu'un mât pouvait coûter à lui seul jusqu'à 500 000 € ! (...) Pendant ce temps-là, un pêcheur anonyme en difficulté avec son outil de travail (début d'incendie dans la salle des machines) s'est vu refuser l'accès au port et a été remorqué contre son gré à Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Motif : le port était archi-plein de bateaux accompagnateurs (certains venus de fort loin)." Il paraît que Nicolas Hulot a assisté au départ depuis l'un des hélicoptères qui sillonnait la baie des Sables-d'Olonne le 9 octobre. Bon, bon, voilà, mais c'est ma dernière idée de cadeau. Que diriez-vous d'un...