La nouvelle présidence "impériale" d'Obama et les conséquences à en tirer pour les nations européennes

Publié le 19 décembre 2008 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Un très intéressant article (en anglais) sur le site d'information indépendant américain TomDispatch : The Imperial Transition fait le point sur ce que sera sans doute la présidence de Barack Obama : une nouvelle "présidence impériale", bien plus proche de celle de George W. Bush dans sa nature (bien que différente dans ses méthodes) que ce que les soutiens d'Obama - et les européens dans leur grande majorité - veulent croire.

En d'autres termes, Barack Obama va poursuivre la voie "impériale" que suivent les Etats-Unis depuis la fin de la guerre froide et continuer d'essayer d'orienter les Etats du monde dans une direction conforme aux intérêts américains. La différence majeure avec son prédecésseur sera dans les moyens utilisés : moins d'interventionnisme militaire et d'unilatéralisme, plus de soft power et une instrumentalisation des instances internationales. Il ne s'agit pas ici de faire de l'antiaméricanisme ou de l'en blâmer. Après tout, il est président des Etats-Unis, ce que nombre de médias européens ont oublié dans l'euphorie de sa victoire, et il est donc naturel qu'il continue à défendre les intérêts américains.

Cet article m'inspire un certain nombre de réflexions, qui comme à l'habitude sont là pour inciter au débat (et peuvent donc être iconoclastes et/ou provocatrices).


Penser qu'une présidence Obama est forcément une bonne chose pour l'Europe est une erreur. Depuis la fin de la guerre froide, l'unification européenne via l'UE s'est accompagnée de l'acceptation quasi-unanime par les Etats européens de leur "vassalisation" aux Etats-Unis, l'UE devenant ipso facto le cheval de Troie des conceptions économiques et politiques américaines (dans lesquels nous nous sommes souvent révélés plus royalistes que le Roi). La présidence Bush Jr. fut à ce titre une chance manquée de rompre ce lien de vassalité. L'attitude de l'administration Bush à l'égard de certains "poids lourds" européens, au premier plan desquels la France et l'Allemagne, avait fracturé le lien transatlantique, et laissait augurer d'un éloignement entre une Europe aux opinions publiques de plus en plus antiaméricaines (y compris au Royaume-Uni) et des américains méprisant (parfois à juste titre) la faiblesse internationale à la fois dans les moyens mais aussi dans la politique suivie des Etats européens. L'arrivée de Barack Obama, adulé en Europe, à la présidence des Etats-Unis va probablement, loin de donner aux européens une place plus importante, être l'occasion de renouveler le lien vassalique. En effet, B. Obama, par son charisme et son charme politique personnels, par les nouvelles têtes démocrates (et donc bien plus "européennes" que les Républicains de l'équipe Bush ne l'étaient) qu'il va amener, par le symbole de changement qu'il représente, va selon toute probabilité pouvoir retrouver la position de leadership de l'ère Clinton sur l'Europe. Les Russes, qui méprisent autant que les américains les puissances européennes et l'UE, l'ont bien compris et semblent vouloir se lancer dans une lutte d'influence avec Washington, l'enjeu étant l'Europe centrale et orientale nouvellement ou prochainement rattachée à l'UE.

Quelles conclusions en tirer ? L'Europe à fait, au sortir de la guerre froide, le choix de rester de facto dans le giron US, tirant ainsi les conséquences de "l'hyper-puissance" américaine. Le sentiment d'infériorité des européens, persuadés d'avoir à rattraper les Etats-Unis, est à l'origine de ce choix, de même que la permanence de la peur des Russes, et une certaine fascination pour les Etats-Unis, preuve de la force du "modèle américain". L'idée était que, étant vassaux, nous pourrions mieux nous faire entendre à Washington. Le génie américain a été de le faire paraître. L'administration Bush à brisé le mécanisme par son unilatéralisme. B. Obama devrait le réparer. Paradoxalement, la construction européenne présentée en France comme le vecteur par lequel nous allons retrouver notre puissance passée, est donc le meilleur outil de Washington pour maintenir l'Europe dans l'orbite américaine. L'UE et l'OTAN, comme la politique actuelle de la France le montre, sont complémentaires et non antinomiques dès lors que tous les Etats européens se reconnaissent plus ou moins vassaux de Washington. Dans ce contexte, et alors que la réthorique américaine ("guerre contre le terrorisme", perception de l'islamisme comme menace principale, etc.) est désormais totalement intégrée au discours européen, l'Europe devrait redevenir sous Obama "suiveuse" en matière internationale.

Les Etats européens autont en définitive perdu une occasion de s'émanciper que l'administration Bush, bien involontairement, leur offrait. S'étant trouvé un "suzerain" correspondant plus à leurs attentes en la personne d'Obama, les élites politiques et intellectuelles européennes devraient, "menace" russe et difficultés afghanes aidant, retrouver leur attitude traditionnelle de vassaux. Bien que plus rassurante intellectuellement, il n'est pas sûr que cette position soit de bonne politique, tant la "république impériale" américaine pourrait être sur le déclin, et tant ses intérêts profonds peuvent différer de ceux des européens. Si il est rassurant de laisser aux américains la charge du monde, cela ne fera que renforcer la dangereuse tendance européenne à l'isolationnisme et à l'enfermement : la "forteresse Europe" gardée par Washington.

Pour dépasser cette tendance, il faudrait réhabiliter une véritable politique de puissance qui, avant d'être européenne, doit être nationale. De manière quelque peu cynique, il est possible de voir l'histoire européenne depuis le XVIIe siècle comme la résultante d'une expansion stimulée par la concurrence entre Etats (théoriquement supprimée par la construction européenne) et aboutissant au déclin dès lors que la concurrence s'est transformée en volonté de domination d'un Etat sur ses pairs (guerres mondiales), mais aussi d'intégration (l'UE ?), aboutissant à la domination d'un acteur externe (les USA). La combinaison de dynamiques de puissance nationales et d'une véritable coopération européenne me semble être la voie d'avenir, seule susceptible de dépasse l'opposition Nation ou Europe. L'intégration politique n'est pas souhaitable dans un contexte où la Nation peut constituer un puissant liant social, essentiel alors que le communautarisme crée des tensions internes très fortes, et que la construction européenne peut en fait affaiblir l'Europe : il ne s'agit pas seulement de parler d'une voix unie. Encore faut-il que cette voix soit forte. Vis à vis des Etats-Unis c'est impossible, tant la liste des Etats européens "atlantistes" se confond avec celle des Etats-membres de l'UE. Une union de vassaux n'en fait pas des suzerains, et encore moins des souverains, dans tous les sens que peut prendre ce terme.

Source du texte : LA PLUME ET LE SABRE