On trouvera ci-après un extrait du rapport récent de l'U.S. National Intelligence Council (Conseil national du renseignement des États-Unis) sur « Les tendances mondiales à échéance 2025 : un monde transformé », relatif à l'évolution de l'influence de l'Europe dans le monde.
Nous pensons que, d'ici 2025, l'Europe aura lentement accompli des progrès vers la réalisation de la vision de l'avenir conçue par les dirigeants et élites actuels, à savoir : être un acteur cohésif, intégré et influent sur la scène mondiale, capable de se servir indépendamment d'une vaste gamme d'outils politiques, économiques et militaires pour appuyer les intérêts européens et occidentaux et les idéaux universels. L'Union européenne devra trouver une solution à la perception qu'il existe une fracture démocratique entre Bruxelles et les électeurs européens, et aller au-delà du débat prolongé sur ses structures institutionnelles.
L'Union européenne sera en mesure de renforcer la stabilité politique et la démocratisation dans les régions périphériques du continent en acceptant l'adhésion de nouveaux membres parmi les États des Balkans, et peut-être aussi l'Ukraine et la Turquie. Toutefois, l'impuissance de l'Union à convaincre un certain public sceptique des bienfaits d'une intégration plus approfondie aux niveaux économique, politique et social, et de mettre en place les réformes nécessaires face à une population moins nombreuse mais d'un âge moyen de plus en plus avancé, pourrait faire d'elle un géant bancal, dérangé par des chicaneries internes et des objectifs nationaux concurrentiels, et de moins en moins capable de transformer sa prépondérance économique en influence internationale.
La baisse des populations en âge de travailler sera une épreuve difficile pour le modèle européen de bénéfices sociaux, pierre angulaire de la cohésion politique de l'Europe occidentale depuis la Seconde Guerre mondiale. Les progrès de la libéralisation économique vont vraisemblablement se poursuivre, mais seulement de manière graduelle, et ce, jusqu'à ce que le vieillissement de la population ou une stagnation économique prolongée imposent des changements plus draconiens - une crise qui n'éclatera peut-être pas avant un certain temps au cours de la prochaine décennie, et pourrait bien être retardée davantage. Il n'y a pas de solution évidente aux défis démographiques de l'Europe, à part la réduction vraisemblable des allocations de santé et de retraite, ce que la plupart des pays n'a pas commencé à mettre en vigueur ou même à envisager. Les dépenses militaires seront probablement réduites encore plus pour parer à la nécessité de mettre en œuvre une restructuration profonde des programmes de bénéfices sociaux. Le défi de l'intégration des communautés d'immigrants, notamment musulmanes, deviendra encore plus saillant si les citoyens, confrontés à une baisse soudaine de leurs attentes, adoptent un nationalisme plus étroit et se focalisent sur des intérêts patriciaux, comme cela a été le cas dans le passé.
Les perspectives stratégiques de l'Europe demeureront, vraisemblablement, plus étroites que celles de Washington, même si l'Union européenne réussit à adopter les réformes qui créeront « un président européen » et « un ministre européen des affaires étrangères », de même qu'à mettre au point des compétences institutionnelles renforcées de gestion de crise. Les perceptions divergentes quant aux menaces au sein de l'Europe et la probabilité que les dépenses militaires resteront incoordonnées (entre les États) mènent à penser que l'Europe ne sera pas une puissance militaire principale d'ici 2025. Les intérêts nationaux des plus grandes puissances continueront à compliquer la politique étrangère et sécuritaire de l'Union et l'appui européen à l'OTAN pourrait s'éroder.
La question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne mettra à l'épreuve l'objectif de l'ouverture européenne d'ici à 2025. Les doutes croissants sur les chances d'adhésion de la Turquie pourraient conduire celle-ci à ralentir la mise en œuvre de réformes politiques et des droits de l'homme. Tout refus direct d'accepter l'adhésion de la Turquie aurait des répercussions plus importantes, renforçant l'argument dans le monde islamique - notamment parmi les minorités musulmanes en Europe - selon lequel l'Occident et l'Islam sont incompatibles. La criminalité pourrait devenir la menace la plus grave à l'intérieur de l'Europe alors que les organisations transnationales eurasiennes - renflouées par leur implication dans les secteurs de l'énergie et des minerais - deviennent de plus en plus puissantes et étendent leur influence. Un ou plusieurs gouvernements de l'Europe de l'est ou du centre pourraient tomber victimes de leur domination.
En 2025, l'Europe sera toujours largement dépendante de la Russie en matière de ressources énergétiques, malgré ses efforts visant à promouvoir l'utilisation efficace de ces ressources, les énergies renouvelables et la réduction des gaz à effet de serre. Les différents niveaux de cette dépendance, les diverses perspectives sur la maturité démocratique de la Russie et ses intentions économiques, de même que l'incapacité de parvenir à un consensus sur le rôle de Bruxelles entravent les nouvelles initiatives de mise au point d'une politique européenne de diversification et de sécurité énergétiques. En l'absence d'une approche commune qui puisse réduire l'avantage de la Russie, cette dépendance conduira les pays clés, notamment l'Allemagne et l'Italie, à concentrer leur attention sur les intérêts de Moscou qu'ils considèrent comme une source fiable d'énergie. L'Europe pourrait avoir à payer très cher cette lourde dépendance, en particulier si les compagnies russes sont incapables de remplir leurs contrats en raison d'investissements insuffisants dans les champs de gaz naturel, ou si la corruption et l'implication croissantes du grand banditisme dans le secteur de l'énergie en Eurasie se propagent et s'infiltrent dans les intérêts commerciaux de l'Occident.