X 2167. 22 septembre
2007
L’Orphée des sonnets, c’est celui de Rilke, la voix qu’il entend en son for
intérieur ; c’est sa poésie, et ce qui la commande ; en fin de
compte, l’analyse de ce qui constitue la poésie, et en même temps ce qui
représente le poète, celui qu’il est lui-même, comme une incarnation de tous
les poètes, qui aient jamais écrit, à travers les âges. Il s’y rattache. On
continue à se référer toujours à eux, en reprenant et en modifiant les mêmes
thèmes. La contradiction de Celan n’y est pas envisagée ; il n’a pas d’Orphée.
Ce serait chez lui l’unique révélation, au-dessus ou au-delà des croyances
établies. Cette instance personnelle forme l’unique idole, installée en soi et
dans la langue qui se forme à son écoute. On passe, de Rilke à Celan, d’un moi
à un autre.
X 2168
Il n’y a pas proprement chez Rilke de "personnalisation" comme
chez Goethe, à sa manière, ou comme chez Celan, autrement ; il n’a pas
moins mis en relief l’importance d’une relation axiale entre un sujet
producteur, productif dans la langue, et le monde des objets appelés, qui
surgissent au dehors dans l’extension du monde (voir le premier sonnet du
deuxième cycle). Les choses se présentent devant un regard, mais elles ont été
comme créées auparavant par le "moi" du poète, préconçues avant
d’être dites. Proust disait que la seule réalité est celle à laquelle on a
pensé.
X 2172. 23 septembre
2007
Le premier cycle des Sonnets de
Rilke se termine par le thème suprême d’une mise à mort sacrificielle
(l’ « Opfertod »), wagnérienne. L’idée se situe dans une
tradition chrétienne ou rechristianisée. L’origine peut ainsi être fortement
transférée ailleurs, portée jusqu’aux ressources mythiques d’une littérature
remythifiée par l’étude minutieuse de ses éléments constitutifs. Le mythe est
comme démystifié à la fin, et modernisé ; il est présenté comme un haut
fait de la poésie et aussi comme une conquête rationnelle de l’intelligence. Le
transfert n’a pas de quoi surprendre. Il faut considérer tout ce que l’étude
poétique, renouvelant une matière conventionnelle, écarte de fait, ou aurait
permis d’écarter, à cette époque, du côté des religions et des festivités
germaniques païennes et collectives.
©Jean Bollack
Contribution Tristan Hordé