Quelques chanceux parmi vous auront peut-être lu il y a deux ans « The children’s hospital » de Chris Adrian et se seront émerveillés devant l’audace et la beauté d’un roman qui nous pris tous par surprise. Le livre avait été soumis à la plupart des éditeurs connus des Etats-Unis : ils l’avaient tous refusé, jusqu’à ce que Dave Eggers tombe dessus et décide de le faire paraître chez McSweeney’s. Sans connaitre les chiffres, on peut se dire que le succès fut au rendez-vous : cet été, c’est chez Farrar, Strauss and Giroux, maison de tradition, qu’Adrian revient. « A better angel » est son premier recueil de nouvelles.
Le lecteur non-averti, en lisant ses récits, se retrouvera dans un univers étrange, inattendu et inédit. Celui qui a lu son précédent roman ne sera pas surpris, mais il est pratiquement certain qu’il sera séduit. Les histoires ici réunies parlent d’anges, d’enfants, de maladies, d’hôpitaux, d’inadaptation, d’homosexualité, de mort et de deuil. On pourrait dire que Chris Adrian est un homme à trois casquettes : écrivain, pédiatre, théologien. Au vu de son considérable talent, on dira qu’il est un écrivain qui a étudié les religions et pratique la médecine pour gagner sa vie. Ce n’est pas juste, ou plutôt ne rend pas bien compte de ce qui se passe exactement, si « A better angel » est un point de référence suffisamment fiable : il n’y a pas de casquettes, il n’y a pas d’ordre de priorité. Il y a un homme qui, tout en même temps, est écrivain, pédiatre et théologien. Voilà ce qui semble évident à la lecture de ses neuf récits où rien ne sépare les activités et les soucis de l’auteur.
Un enfant de neuf ans ne parvient pas à se remettre du décès de son père, la prof remplaçante de primaire dirige vers lui – elle ne devrait pas – ses ambitions de changer le monde ; Béatrice se meurt en attendant une transplantation de foie et parvient à sortir de son corps pour aller voir ce qu’il se dit, pense et fait ailleurs dans les couloirs de l’hôpital ;un gamin dont le frère siamois est mort d’un cancer oublie sa tristesse auprès d’une gamine aux pulsions un peu trop violentes ; à une époque indéterminée, Peter Damien souffre régulièrement de convulsions et de visions apocalyptiques de tours et d’avions ; un jeu de séduction étrange entre un ado renfermé dont le père est mort quelques années auparavant et une adolescente dont le paternel est décédé un matin de septembre 2001 à New York et qui suspecte la cible de ses attentions d’être l’antéchrist – idée qu’elle aime au plus au point.
Dans « A better angel », tous les enfants ne sortent pas de l’hôpital, les pères meurent, le 11 septembre est une catastrophe domestique, les survivants ne sont jamais indemnes, le surnaturel toujours proche et les anges font ce qu’ils peuvent. Ce qui est tout à fait curieux, c’est que tout ça pourrait juste être une autre liste d’histoires de familles dysfonctionnelles, de gamins perturbés et de violence suburbaine. De fait, si on tente de décrire ces histoires, c’est ainsi qu’elles seront comprises par votre interlocuteur. Il faut les lire pour se rendre compte de la transformation radicale à laquelle Adrian soumet ses situations connues. Edith Pearlman appelle ça réalisme magique médical, et il y a de ça même si encore une fois, en lisant, on se rend compte qu’il ne s’agit certainement pas d’une version pédiatrique d’un succédané marquesien. On a en fait le sentiment que Chris Adrian s’est conçu un genre sur mesure et que, pour le moment – voyons voir dans 25 ans ce qu’il en est– il séduit.
La seule critique que je ferais à ces nouvelles, c’est d’être parfois trop « cute », trop mignonnes. C’est sans doute inévitable quand on manie les éléments utilisés par Adrian et qu’il faut parfois contrebalancer la dureté de certaines conditions médicales ou dérangements psychologiques. Après tout, j’imagine qu’un pédiatre doit savoir faire sourire son patient… Hormis ce petit souci, « A better angel » impressionne par la qualité des textes, la cohérence qui s’en dégage – on a parfois l’impression que c’est plus cohérent que certains romans, notamment grâce à des ressemblances de situations de récits à récits qui, pourtant, sont assez différents pour ne pas lasser --, la vivacité des narrations, la force de l’écriture et tout simplement l’étrange et puissante originalité de Chris Adrian. Cette fascinante collection de gosses atopiques (pour reprendre une terminologie qui sera familière à certains d’entre vous) pourrait tout simplement être le meilleur recueil de nouvelles de l’année : aucun des textes n’est mauvais, tous surprennent, touchent et forcent l’admiration.
Chris Adrian, A better angel, Farrar, Strauss & Giroux, $23.00