X 2153. 5 septembre 2007
Rilke trouvait la vérité du peuple dans les rues de Paris et
dans l’agitation de la ville, là même où il cherchait le silence. C’était le
niveau terrestre. Dans les salons des châteaux où il était accueilli ou à
l’hôtel Biron qu’il habitait avec Rodin, il se construisait une demeure
olympienne et divine, selon l’air du temps. Il était en compagnie d’une
noblesse fin de siècle, un peu proustienne, factice ou réelle, toujours
imaginaire. Une espèce de nirvana 1900 correspondait parfaitement à la hauteur
de sa poésie, lui apportant à la fois le recul et la protection qu’il lui
fallait, à savoir une extériorité.
X 2154. 6 septembre 2007
L’article de Dorothea Lauterbach dans le Rilke-Handbuch
(Leben- Werk-Wirkung (édition de Manfred Engel, Stuttgart et Weimar, 2004) fait
figurer le nom de Mallarmé dans la longue liste des auteurs français que le
poète a lus ou connaissait. La lecture de Mallarmé n’y est pas étudiée
séparément, comme celle de Baudelaire ou de Valéry. Il était pour Rilke trop
ésotérique. Sa présence à l’horizon livresque est certaine, mais comme
indirecte. Valéry le représentait et le
rendait plus accessible et plus actuel ; curieusement (pour nous), il paraissait
plus littéraire et plus moderne. Il existait pour Rilke deux sommets, où il se
retrouvait entièrement. C’était Proust, et, d’autre part, Valéry. Celui-ci
écrivait des poèmes (ce que Gide ne faisait pas), dans un style très différent
du sien, il est vrai, d’une facture plus intellectuelle et plus dominée. Quelle
a été son influence sur la composition des Sonnets ?
Ni Balzac, ni Zola, ni Maupassant ne figurent dans la liste, ni André Breton. Il faudrait relever systématiquement les absents. La Nouvelle Revue Française prime, ouverte, mais conservatrice ; nouvelle ou novatrice, mais française.
L’auteure de la rubrique du manuel étudie ce que Rilke découvre en France, pour lui, sa personne, et pour l’évolution de son art, moins ce qu’il a fui. La différence, d’un pays à l’autre, après 1900, n’est pas liée seulement à la modernité, mais à tout ce qui l’a promue et rendue possible — le Paris de Walter Benjamin est à la fois antérieur et postérieur. Heidegger détestait la France. Et George au fond aussi, malgré tout ; il avait constitué une anti-France avec un “académisme” rival, malgré Baudelaire, qualifié de “Urdichter” dans le “Cercle“, et malgré Mallarmé, resté inimitable et intraduisible ; Benjamin ne s’y est pas essayé non plus. Rilke trouvait à Paris autre chose, au-delà de la France, une ouverture entière. Il percevait une réalité, d’un degré plus forte et plus universelle.
On se méprend, chez Baudelaire, sur le sens des Fleurs du mal quand on suppose que le mal y est intégré au sein d’une unité supérieure (et métaphysique), créée par la poésie. On pourrait nuancer le concept, et l’erreur de Rilke, qui sait qu’il retient cet aspect pour ses besoins, personnels et esthétiques. Il sait aussi que Baudelaire, c’est grand et que, lui, n’y a peut-être pas accès. Il reste un autodidacte très singulier, éloigné de la littérature, il choisit selon ses moyens, un angle de vue, sans ignorer l’existence des autres, qu’il laisse de côté.
©Jean Bollack
Contribution de Tristan Hordé