"Je me souviens pendant que je vis". Cette jolie formule est la dernière phrase du dernier film d'Agnès Varda, qui passait ce soir en avant-première aux Studios. Pour son anniversaire, ses amis lui ont offert 80 balais : des balais brosses, des balais de chiottes, des balayettes… D'Agnès Varda, je ne connaissais que le moulin de La Guérinière, à Noirmoutier. J'ai beaucoup d'affection pour cette île plate, la jetée Jacobsen, la plage des Dames, ses cabines désuètes et ses tamaris, qui ont donné leur nom à sa boîte de production. Et ses patates, bien sûr, bien qu'elles soient hors de prix. Patate, Agnès Varda l'a été, en vrai, endossant le costume du modeste tubercule pour faire la promotion d'une de ses installations. Agnès Varda n'a pas peur du ridicule. C'est une cinéaste (et photographe) libre, sincère. "Je ne sais pas ce que je veux, je sais ce que je ne veux pas." Quand elle loupe un film avec Deneuve en actrice vedette, elle déroule la bobine, la découpe et en fait le mur d'images d'une cabane de son invention, où elle se réfugie. Une manière bien à elle "d'habiter le cinéma". Sur les dunes, entre les oyats, elle pose et expose des photos de familles inconnues, chinées aux puces (puces de sable ?). L'image, chez Varda, a partout sa place.
Aussi inclassable que la réalisatrice, Les Plages d'Agnès est une sorte de "documenteur" iconoclaste, pour faire un clin d'oeil à l'un de ses précédents films. Plein de fantaisie, d'émotion, de poésie. Au début du film, elle pose toutes sortes de miroirs sur une plage, lesquels renvoient des images de mer, quand l'écume ne finit pas par les recouvrir. C'est à l'image de Varda, jamais là où on l'attend, femme excentrique à l'inusable coupe au bol (parfois bicolore), tantôt espiègle, tantôt submergée par l'écume de ses souvenirs et de ses peines. Celui de Jacques Demy, son compagnon, omniprésent dans le film, et des personnages hors du commun, connus ou pas, qu'elle a eu la chance de cotoyer : Bachelard, Vilar, Jim Morrisson, Andy Warhol… A la fin du film, elle délocalise les bureaux de sa maison de production sur une plage improvisée rue Daguerre, à Paris, et c'est d'une grande drôlerie.
La dernière fois que je suis tombée amoureuse, il y a précisément 7 ans 1/2, j'étais justement allongée sur une plage, face à Noirmoutier, dont j'aime distinguer les contours, toujours flous à cette distance : la forme triangulaire du pont, minuscule, sur la gauche, la masse verte du petit bois de la Chaise, sur la droite. Et, en un lieu indéfini, le Gois, cette chaussée magique, recouverte et découverte par la mer selon les caprices de la Lune. Des voitures s'y font piéger chaque année, surprises par les flots qui feront d'elles des épaves improbables et dérisoires, sans autre trésor qu'une boîte à gants. C'est assez rare aux Studios, mais les spectateurs ont applaudi, ce soir. Avant d'enfiler leurs gants.
Photo : Philippe sur le Gois.