"Comme la pluie ou le vent, l'arbitrage fait partie du jeu". Cet adage de sagesse et de modération devrait, on le concède bien volontiers, être gravé au fronton de chaque stade de notre chère ovalie.
Pour autant, il ne faut pas se voiler la face et reconnaître que l'arbitrage ne peut pas rester en dehors des discussions qui portent sur le rugby professionnel. C'est sans doute la faute aux enjeux sportifs et financiers, qui sont tels aujourd'hui (qu'on le veuille ou non), que les décisions des hommes au sifflet sont disséquées comme le sont les actions d'un Dan Carter ou d'un Fredéric Michalak. C'est aussi la conséquence de la professionnalisation de l'arbitrage, qui porte en elle les mêmes exigences que celles qui pèsent sur les autres acteurs professionnels de l'ovalie.
Il est délicat de poser les termes du débat. Car le sujet est comme le lait sur le feu : si on ne le surveille pas de prêt, il peut déborder...
Aussi, Renvoi aux 22 propose - humblement - son analyse, pose des questions sans forcément avoir de réponse satisfaisante à formuler. Le débat, ou plutôt le dialogue, peut être sain. Car il n'est rien de pire que de rester les yeux fermés en attendant que cela passe, que la passion retombe, qu'on n'en parle plus...jusqu'au prochain incident. Le député radical Henri Queuille déclarait en son temps : "Il n'y a pas de problème si complexe qu'une absence de solution ne finisse par résoudre". Il n'est pas certain que cette maxime soit véritablement adaptée au contexte du rugby actuel. Quant à évoquer l'essence du rugby, évidemment celto-britannique, et en conclure à une forme de "misunderstanding" permanent qu'il faudrait accepter, cela ne nous paraît qu'à moitié recevable. Et ce même si l'une des particularités de ce sport, qui nous le fait tant apprécier, est de nous confronter à l'adversité en nous conduisant à accepter par avance de vaincre nos passions, fussent-elles animées par un sentiment d'injustice. Après tout, la France peut-être été longtemps considérée comme "invitée" (pour ne pas dire tolérée) à des joutes longtemps réservées aux Anglo-saxons. Mais après tout, les Anglais ont inventé le football et on ne sache pas que les arbitres professionnels avantagent même inconsciemment les joueurs de sa très gracieuse Majesté lors des matches internationaux.
Posons d'abord les données du problème.
Ces derniers temps, la critique a connu une forme d'exacerbation, somme tout compréhensible sinon légitimes. Après quatre journées de compétitions européennes, les clubs Français - et leurs supporters - ruminent leur ressentiment à l'égard du corps arbitral et des instances européennes, soupçonnées de partialité. Force est de reconnaître que certaines décisions prêtent à discussion, pour ne pas dire plus. Le sentiment de voir "deux poids, deux mesures" dans les expulsions ou les oublis de carton, les pénalités sifflées ou pas, est largement répandu dans le landernau rubgystique français.
Reconnaissons que les critiques vis-à-vis de l'arbitrage sont aussi vieille que l'invention de cette fonction quelques années après la codification des règles du jeu. Cet exercice est d'ailleurs particulièrement prisé en France.
A cet égard, on remarquera que la contestation a longtemps été le fait des supporters, les joueurs acceptant les remontrances de l'arbitre sans sourciller. Cet état d'esprit a quelque peu évolué (dans le mauvais sens) puisqu'on observe de plus en plus de joueurs contester les décisions. Evidemment, on est loin du cinéma déployé par les cousins "manchots", mais cela explique aussi que les coups de sifflets de l'homme en noir (façon de parler, l'homme étant maintenant plutôt en vert) soient moins respectées par le quidam. Si les joueurs, jusque la dociles, se rebellent même sporadiquement, c'est bien que l'arbitre n'est pas franc du collier...
Autre facteur d'explication, la professionnalisation du rugby en général et des arbitres en particulier. Qu'un amateur se trompe est admissible. Que celui qui fait sa profession de siffler après des joueurs de rugby soit aussi irréprochable que possible. On exige de professionnels qu'ils se comportent comme tels. Cela passe notamment par le fait de pouvoir s'exprimer en Français quand on arbitre des équipes Françaises. Cela parait d'autant plus impératif que cette langue est pratiquée par une fraction non négligeable de joueurs professionnels en Europe. L'éditorialiste britannique S. Jones s'en est ouvert il y a peu dans les colonnes du Times : un arbitre qui fait de la prévention en s'exprimant en Anglais avantage ceux qui le comprennent...
L'accumulation d'erreurs grossières sur un laps de temps réduit, qu'on mettra sur le compte de coïncidences malheureuses et non sur une soit-disant théorie du complot, contribue à amplifier le sentiment d'injustice : cravate non sanctionnée sur Benoît Baby, drop de Julien Peyrelongue parfaitement valable refusé par l'arbitre video, plaquage cathédrale sur Dan Carter non pénalisé comme il se devait et autres en-avants non sifflés sont autant de pierres dans un jardin anglais...
Le comportement des joueurs Français n'a pas toujours été irréprochable dans le passé. Et force est de reconnaître qu'en dépit des efforts accomplis par les protagonistes tricolores du rugby professionnel, le sentiment d'avoir à faire à des voyous est encore largement répandu de l'autre côté du Channel. Il suffit de lire ce commentaire d'Eddie Jones, ancien sélectionneur Australien et actuel entraineur du club des Saracens, estimant que ses joueurs avaient été victimes de "fourchettes" de la part de joueurs Bayonnais : "C'est peut-être autorisé dans le championnat Français, mais nous, nous ne voulons pas que le rugby prenne cette direction".
Le rugby Australien ou Anglais n'est pas joué par des enfants de coeurs et les mauvais gestes y existent. Mais la violence du rugby Français est visiblement toujours perçue, à tort ou à raison, comme vicieuse et déloyale.
Le chemin vers un arbitrage impartial (et vécu comme tel par les équipes Françaises) passe par un effort d'éducation et de discipline au sein du rugby Français). Il faut également que les entraineurs et dirigeants du rugby professionnel hexagonal se maitrisent davantage et ne cède pas à la tentation de la critique quasi-systématique à l'égard des arbitres. Il faut aussi considérer davantage la profession. En augmentant le réservoir d'officiels, on garantira une sélectivité accrue de l'élite du sifflet, et partant une amélioration des comportements sur le terrain. Mais aussi en dehors, et en particulier dans les couloirs de l'IRB où les arbitres Français n'ont pas la même cote que leurs homologues anglo-saxons.
Il serait bon, parallèlement, que ces mêmes Anglo-saxons acceptent de faire leur auto-critique et reconnaissent qu'il y a sans doute des a priori qui handicapent les équipes françaises.
Les torts sont partagés. Ce sport inventé par un Anglais fait la part belle au fair-play, notion également britannique qui a connu des fortunes diverses, et qui gagnerait à être de nouveau au coeur des rencontres opposant les nations du continent à celles d'outre-Manche.
Afin que, comme la pluie et le vent, l'arbitre fasse partie du jeu...pour les deux équipes.